Il y a des documentaires-enquêtes, des documentaires-portraits, des documentaires sociologiques, politiques, autobiographiques, sur l’art, sur la musique… Et il y Toute la beauté et le sang versé, un vrai bijou que l’on pourrait voir et revoir pour en découvrir toutes les strates. Un film signé Laura Poitras mais réalisé en étroite proximité et complicité avec Nan Goldin. Un voyage à travers la vie, la carrière, les luttes d’une des plus grandes photographes contemporaines. Un voyage guidé par sa voix, émue quand elle raconte la mort de sa sœur aînée, Barbara, tant aimée, qui, désespérée, s’est jetée sous un train. Elle avait été internée à la demande de ses parents car elle était homosexuelle.
Sa voix évoque ses débuts dans la photographie, ses difficultés, son recours à la prostitution dont elle sortira en travaillant au Tin Pan, un bar tenu par une communauté lesbienne. Elle confie sa relation toxique avec un homme qui l’a battue et a failli lui faire perdre un œil, nous permettant de voir les photos de son visage blessé. Elle parle de ses amis qui comptent plus que tout, de ses addictions, de son overdose dont elle est revenue toute seule. À partir de ses photos, d’extraits de ses diaporamas, The other side, The Ballad of Sexual Dependency… ou de films, on découvre le New York underground, les communautés queers des années 1980, la contre-culture, les années sida.
Un scandale pharmaceutique
Et à partir de 2017 commence son combat contre la famille Sackler, milliardaires responsables de la crise des opiacées aux USA et ailleurs, qui a causé plus de 500 000 morts. Elle a fondé le collectif PAIN (Prescription Addiction Intervention Now) et on assiste aux interventions des ces activistes dans les musées américains et européens. Ils dénoncent les profits considérables des Sackler, propriétaires du laboratoire pharmaceutique Purdue Pharma, qui a commercialisé le médicament antidouleur addictif OxyContin. Les Sackler ont optimisé leur fortune en devenant mécènes d’art, grâce à un habile artwashing. Nan Goldin a filmé elle-même leurs actions pour inciter les grands musées qui, pour la plupart exposent ses œuvres, à refuser les dons et subventions puis à retirer le nom des Sackler.
Dans Toute la beauté et le sang versé, dont le titre vient d’une réponse de Barbara Goldin à un test de Rorschach, Laura Poitras a trouvé la juste place pour nous rendre très proche Nan Goldin, nous donner à voir l’évolution de l’artiste à travers une multitude de photos et découvrir un scandale pharmaceutique et humain.
ANNIE GAVA
Toute la beauté et le sang versé, de Laura Poitras
En salle depuis le 15 mars
Le film a obtenu le Lion d’Or 2022 de la Mostra de Venise et était nominé pour l’Oscar 2023 du meilleur documentaire.