L’action se déroule à Londres sur deux années, de 1894 à 1896, et offre une peinture précise de la morale étriquée cette société. Les premières pages nous font partager un rêve érotique de John Addington, quarante-neuf ans, grand bourgeois érudit et prospère, marié à Catherine et père de trois filles. Dès le début il est clair que ce n’est pas sa vie conjugale qui satisfait ses désirs. Puis voici le timide Henry Ellis, médecin et écrivain, 30 ans, marié pour entente intellectuelle – mais sans consommation – avec Édith, rencontrée en 1892 dans la Société de la Vie Nouvelle qui ambitionne de réformer l’organisation et la morale de la société.
Le récit de Tom Crewe se déroule de façon circulaire, passant de la vie et des expériences de John à celles d’Henry en alternance, les entourant de personnages hauts en couleurs… John rencontre à Hyde park un homme de vingt-huit ans qui devient rapidement son amant et qu’il finira par imposer au domicile familial tandis qu’Henry accepte que la brillante et riche Angelica partage bientôt la vie, puis le lit d’Édith. Après la publication d’un article d’Henry sur Whitman, John rentre en contact avec lui. Leurs échanges épistolaires font naître le projet risqué de la publication d’une étude sur ce que l’on appelait « sentiment grec » ou « inversion sexuelle », et d’y exposer les fondements d’une moralité nouvelle qui permette l’épanouissement de chaque individu, quel que soit son sexe.
Cru et remarquable
Fi des injonctions de la société, de l’obligation du mariage et de la procréation, des rôles déterminés au sein du couple, du moralisme et de la bienséance ! C’est à ce moment que survient le procès et la condamnation d’Oscar Wilde qui fait l’effet d’un tsunami. Pour ce roman, Tom Crewe s’est inspiré de deux hommes qui ont existé et publié, changeant quelques noms et dates, mêlant intimement la fiction à l’histoire qui bouleverse par la souffrance et l’étouffement des femmes et des hommes de cette époque qui ne sont pas sans évoquer les difficultés de la nôtre à propos du sexe, de l’épanouissement de l’individu, de la tolérance. Tom Crewe a fait un travail remarquable, dans un style séduisant qui n’a pas peur de la crudité et semble nous tendre un miroir, déformant certes, tout en rendant hommage à ces combattant·e·s de la première heure.
CHRIS BOURGUE
La vie nouvelle, Tom Crewe, traduit de l’anglais par Étienne Gomez
Christian Bourgois - 24 €