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Moi, Capitaine, cap vers l’enfer

Le 29 novembre, le cinéma L’Alhambra recevait Arte Mare pour l’avant-première du dernier film de Matteo Garrone. Une Projection organisée en collaboration avec SOS Méditerranée France. Moi, Capitaine est en salle à partir du 3 janvier

Depuis trois ans, Arte Mare, le plus vieux festival corse de cinéma, quelque temps après sa clôture à Bastia, s’invite à l’Alhambra pour proposer en avant-première, un des films de sa sélection.

Cette année, ce fut le dernier Matteo Garrone,  Io capitano (Moi, Capitaine) Grand Prix Allindi et Petru Mare 2023. Par ailleurs, Lion d’argent et Premio Marcello Mastroianni du meilleur espoir pour le jeune acteur Seydou Sarr, à la dernière Mostra. Choisi pour représenter l’Italie aux Oscars parce que selon l’Anica (Association nationale des industries cinématographiques et audiovisuelles) ce film incarne « avec une grande force et maîtrise cinématographique le désir universel de recherche de la liberté et du bonheur ».

Moi, capitaine est né de la rencontre du réalisateur avec un jeune migrant de 15 ans à Catane qui lui raconte comment il s’est trouvé sans aucune compétence en la matière, pilote d’une embarcation chargée de clandestins. Matteo Garrone se documente, écoute d’autres migrants et décide de mettre sa vision de cinéaste au service de leurs récits de vie, comme un intermédiaire, un médiateur, en épousant leur perspective. Pour son scénario, il collabore avec de nombreux Africains dont l’ Ivoirien Mamadou Kouassi – qui a fui la guerre civile et travaille aujourd’hui comme médiateur interculturel à Caserta.

Une épopée homérique

Fort de ce background ancré dans une actualité tragique, au lieu de réaliser un documentaire comme on a pu en voir beaucoup, où des rescapés témoignent face caméra, le réalisateur de Gomorra choisit la fiction et l’épopée homérique, héroïse ses personnages, leur conférant une dimension universelle. Le visage de son protagoniste devenu capitaine, saisi de trois quarts, mangera la moitié du grand écran à la fin du film, rejoignant les figures romanesques d’un Jack London.

Le film commence à Dakar. En immersion dans une fête costumée. Une communauté pauvre mais joyeuse, riche d’enfants rieurs et turbulents. Seydou compose des chansons et rappe avec son cousin Moussa. Il rêve – à l’instar de millions d’ados de par le monde, de devenir une vedette internationale. La fenêtre de son portable s’ouvre sur les paillettes de l’Occident. Et malgré les avertissements de la mère de Seydou (Khadi Sy) « Sur la route de l’Europe, il y a des cadavres partout », les deux jeunes garçons préparent en secret leur départ. Comme Pinocchio, héros d’un précédent film de Garrone, le candide Seydou, guetté par les renards et les chats, quitte l’amour et la sécurité du foyer, pour un voyage initiatique et cruel.

Un contrechamp à l’horreur

Narration linéaire qui suit le long itinéraire des jeunes sénégalais, bien vite plongés dans l’enfer. Mali, Niger, Sahara, Lybie jusqu’à Zuera, lieu d’embarquement des migrants pour Lampedusa. La ligne rouge suivie par des milliers d’Africains, qui se matérialise sur une carte comme une saignée ou une plaie à vif. Des étapes-épreuves qui mettent en évidence à la fois la noirceur humaine mais aussi la solidarité entre les damnés. Soumis aux exactions de toutes sortes, rackettés, entassés dans des véhicules, débarqués dans le désert, contraints à une marche épuisante jalonnée des corps morts de ceux qui n’ont pas pu aller jusqu’au bout. Enlevés, jetés dans les prisons libyennes, torturés, vendus comme esclaves, maltraités comme des bêtes, malgré les doutes et les souffrances, Seydou et Moussa resteront humains. Le rêve ne quittera pas Seydou, deviendra même plus fort qu’il ne l’était au départ. Comme à son habitude, Garrone, introduit des scènes oniriques hallucinatoires. Belles, poétiques, elles surgissent au sein d’une réalité cauchemardesque. Sans incongruité. Car la photo confiée Paolo Carnera, superbe, fait contrechamp à l’horreur ou l’accentue.

ELISE PADOVANI

Moi, Capitaine, de Matteo Garrone
En salles le 3 janvier
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