Le monde ne va pas très bien. Les réalisateurs·trices le disent sur tous les tons. Tragique, comique ou les deux. Sous toutes les formes. Documentaires ou fictions. Usant de l’animation, de l’archive, du témoignage des « vrais gens » ou de l’art(ifice) des acteurs.
Parmi les 54 films sélectionnés en compétition internationale, on en a repéré quatre, qui se rejoignent sur la cruauté et la violence ordinaires de nos sociétés mais adoptent des formes différentes pour en rendre compte.
Ressources humaines
D’abord, le court-métrage d’animation de Titouan Tillier,Isaac Wenzek et Trinidad Plass Caussade dont le titre : Ressources humaines, va prendre, en trois minutes chrono, un sens très particulier. Technique classique du stop motion. Décor cosy aux couleurs chaudes, où chaque détail compte. Personnages en textile pelucheux. Accompagné d’un ami réalisateur qui filme la scène sans apparaître dans le champ, voici donc, le timide Andy qui se rend à son rendez-vous de recyclage. Un usage naturel dans ce monde là. Accueilli par Wanda, la secrétaire, il vit ses derniers moments sous sa forme humaine pour être transformé en un produit commercialisable. L’horreur n’est qu’une formalité des plus banales. Comme tout récit de science-fiction, c’est bien de l’actualité dont on nous parle ici et d’un capitalisme mangeur d’humanité. Mais avec modestie, douceur, sans affect, sans éclat de voix, ni de style, presqu’en s’excusant comme Andy.
Les Dents du bonheur
Plus caustique et rageur, dans le sillage d’un Ruben Östlund, la « mordante » fable politique de Joséphine Darcy Hopkins, Les Dents du bonheur, met en scène la lutte des classes. Dans une riche demeure arrivent pour une prestation à domicile une esthéticienne et Madeleine, sa fille de huit ans qu’elle n’a pas pu faire garder. À l’étage, les trois bourgeoises méprisantes à souhait. À leurs pieds, la mère de Madeleine. Au-sous sol, dans la salle de jeu, trois fillettes -reflets de leurs mères -, intègrent Madeleine à un jeu de « société » où on mise de l’argent et où l’horrible Eugénie, fille de la propriétaire des lieux, ne perd jamais. Olivia, la domestique fait le lien entres les étages et aura le dernier geste à défaut du dernier mot. Quand on est pauvre, on vend son corps – ses cheveux pour Fantine chez Hugo, ses dents de lait pour Madeleine. Mais, parfois, les dominés refusent leur condition et la force de leur rage est alors telle que ponctuellement le pouvoir des dominants vacille. Le film se clôt sur un sourire édenté, sanglant, vengeur et triomphal tandis que l’indémodable Charles Trenet chante: « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? » ( PRIX Lieux fictifs)
Et si le soleil plongeait dans l’Océan
C’est ce que finit par se dire Raed, le protagoniste de Et si le soleil plongeait dans l’Océan des nues de Wissam Charaf, sur fond de corruption et de magouilles immobilières dans un Liban qui brade son littoral au profit des promoteurs. Gardien d’un chantier du front de mer, Raed doit empêcher les promeneurs d’accéder à l’Océan. Dans ce nulle part, saisi en plans fixes où les Algecos soulevés par les grues se balancent dans le ciel, où les ordres du patron sont contradictoires, et absurdes, où le corps rondelet de Raed ne peut arrêter les hommes de main aux gros bras tatoués et aux lunettes aussi noires que leur 4×4, apparaissent des amoureux, une joggeuse et une mystérieuse photographe. Est-ce rêve ? Est-ce réalité ? Raed est-il mort ? Et cet Algeco maquillé en maison du bonheur, est-ce le paradis des pauvres ? Le riche patron, vieillard sous oxygène, est-il l’image d’un capitalisme mortifère et moribond ? Presque pas de mots dans ce film surréaliste où le problème politique et social devient existentiel comme si Buster Keaton et Père Ubu erraient dans le Désert des Tartares. (PRIX Unifrance)
Diyet (The Payoff)
C’est sur un autre front – de mer –, que nous transporte Diyet (The Payoff) le très beau film de la réalisatrice turque Handn Ipekçi – qui a d’ailleurs remporté le Grand Prix de cette 41e édition. Une juxtaposition de séquences : des vacanciers s’ébattent bruyamment sur la plage surpeuplée d’un été criard, une famille abandonne son chien sur la route. Un vieillard connaît le même sort. Les vagues jettent sur le sable les corps de migrants noyés. Tandis que l’orage gronde, des vêtements militaires sur cintres tournent dans le vent. La guerre n’est pas loin. Les soldats sont en transit. La station balnéaire désertée devient post apocalyptique, les chiens errants affamés se battent autour des poubelles, la fumée noire d’un bateau ou d’une usine plombe le ciel… Superbe photo. Aucun dialogue, aucun commentaire. Le vent, le tonnerre, les détonations, les hurlements à la mort des bêtes, suffisent à ce tableau radicalement désespéré. Une proposition très forte dans le millésime 2023 du festival Tous Courts.
ÉLISE PADOVANI
Le festival Tous Courts s’est tenu du 28 novembre au 2 décembre à Aix-en-Provence.