La metteuse en scène marseillaise est de celles qui aiment les textes, les acteurs, l’engagement. Les pièces qu’elle choisit parlent de politique jusque dans les relations amoureuses, et on se souvient de son Ubu Roi puissant, de son Marivaux subtil, de son Lagarce irrévérencieux. Tableau d’une exécution, chef d’œuvre d’Howard Barker, créé au Théâtre Joliette (Marseille) en 2022 et repris au Théâtre des Halles (Avignon) pendant le Festival, s’inscrit dans son parcours comme une évidence.
Quelques femmes libres
Le personnage principal, peintre de la République de Venise renaissante, est une femme libre et complexe, inspirée d’Artemisia Gentileschi (une Grande Maitre longtemps invisibilisée) comme le répertoire (masculin) en offre peu. Confié à Maud Narboni, comédienne puissante et insoumise, le personnage a (enfin !) toutes les complexités d’un rôle masculin au théâtre, dans son rapport au pouvoir, au désir, au sexe, au corps, au travail, à Dieu. Peignant la bataille de Lepante en révélant toute l’horreur de la guerre, des corps dépecés, amputés, éventrés, elle provoque son commanditaire, un doge pourtant éclairé (magnifique Nicolas Gény), le cardinal évidemment, mais aussi ses collègues, son amant et sa fille qu’elle maltraite, son compagnon de cellule…
Portant cette radicalité à la fois admirable et agaçante, Maud Narboni campe une Galactia qui ne cherche pas à plaire, mais à convaincre. Son orgueil est là, elle sait qu’elle a le talent pour donner à voir, pour faire bouger les lignes, pour montrer l’horreur et contrebalancer le désir de gloire des puissants, pour donner un visage à la souffrance.
Un discours sur l’art et le politique éminemment dialectique : si le pouvoir sort toujours vainqueur de la confrontation, jusqu’à la récupérer à son compte, c’est bien la représentation qui, in fine, marque les consciences, au-delà de toutes les formes, plus ou moins violentes, de censure.
AGNÈS FRESCHEL
Tableau d’une exécution a été joué au Bois de l’Aune, Aix en Provence, les 28 et 29 novembre.