Une rue déserte, la nuit. Un parking souterrain vide, des flaques d’eau. Au fond, une porte d’où s’échappe une musique qui s’amplifie et soudain nous voilà immergés dans un club techno underground, au milieu de visages, filmés de près. Un long plan séquence : une foule de gens qui dansent, comme en transe. Corps qui se frôlent, bouches qui se sourient, qui se joignent, cheveux qui ondulent, regards qui se cherchent, se rencontrent. Quand le morceau est fini, on entend des bribes de conversations, banales, comme on en échange dans ces lieux où les gens se retrouvent pour faire la fête. On boit, on fume, on sniffe. Parmi eux il y a Félicie (Louise Chevillotte) et Saïd (Majd Mastoura), chauffeur VTC. Félicie, agacée par les reproches d’une ex, propose à Saïd un after chez elle. À l’ambiance survoltée du dancefloor, succède celle, feutrée, de l’appartement de cette jeune avocate pénaliste ; des étagères remplies de livres, une décoration soignée, un tableau « grave beau » que Said découvre tandis que Félicie, en body léopard se refait une beauté dans la salle de bain.
Des images filmées en 16 mm. À partir de ce moment, et jusqu’à la fin du film, un montage alterné nous fait passer du cocon de l’appartement au dancefloor où jusqu’au petit matin, la jeunesse se déchaine. Félicie et Said se rapprochent, se racontent leurs premières fois : expériences de danse, de dope et même, pour Félicie sa première relation sexuelle, sous dope, « tellement puissante » ce qui met Said très mal à l’aise. Au morceau I go to sleep d’Anika, qui fait le lien avec le Club, succède la musique des corps, des baisers, de l’étreinte de ces deux êtres, socialement si différents à qui seul la danse et la musique ont permis de se rencontrer. Ils vont échanger, parler de leur génération à la croisée des chemins entre le découragement et l’envie de se battre.
« Ça ne sert à rien de se battre parce qu’on est déjà battus, dit Félicie. L’humain est structurellement mauvais, on tend vers la facilité, donc vers le pire. Regarde le progrès : l’humanité n’a jamais été aussi riche et aussi avancée, on détruit tout ce qu’on touche ! » Au contraire pour Saïd, l’avenir peut s’éclairer si on se bat ensemble. Rapprochement amoureux et discussion politique, philosophique, écologique, existentialiste : on pense à Jean Eustache ou à Rohmer. Quand soudain, plus de lumière, écran noir. On se retrouve au Club, au milieu des danseurs, en noir et blanc, à présent ; l’ambiance est à son paroxysme avant la blancheur du petit matin.
La fête fédère-t-elle vraiment ou n’est-elle qu’un simulacre de communion ? C’est une des questions que pose ce film : « C’est un peu les deux, le film ne tranche pas. C’est à la fois l’enfer sous terre et le lieu paradisiaque où tout est possible, un purgatoire qui nous permet d’accepter le chaos extérieur. C’est une forme d’utopie profondément négative, très à l’image de notre époque. Des gens se défoncent, dansent et s’aiment dans des caves en écoutant de la musique industrielle. C’est à ça qu’aboutissent les sociétés néolibérales : je crois que la façon dont les gens s’amusent peut nous aider à comprendre le monde » explique Anthony Lapia, le réalisateur de ce film immersif, entre captation documentaire de soirées techno et fiction, qu’apprécieront particulièrement ceux qui aiment cette musique et retrouveront avec plaisir tous ces morceaux remixés par Panzer.
ANNIE GAVA
After, d’Anthony Lapia
En salles le 25 septembre