Rien, dans le roman de Kaveh Akbar, ne se déroule comme prévu. Cela commence comme un Bukowski (pas machiste) qui aurait surajouté à l’addiction alcoolique celle de toutes les drogues chimiques les plus récentes. La plume, brillante, d’une autodérision constamment drôle, impose d’entrée un rythme d’enfer… que l’on quitte très vite, sans regrets, pourtant, tant ce qui suit est passionnant.
Cyrus Shams, jeune drogué alcoolique américain est, comme les personnages plus ou moins autofictionnels de Fante le Rital, Bukowski le Teuton ou Miller le Polack, un écrivain en devenir, marqué par une immigration récente et un exil intérieur. Pour l’Irano-Américain, né comme son auteur à Téhéran et fuyant à New York la Révolution islamique, cela se traduit par la même inadaptation fondamentale à la société américaine, qui le traite avec condescendance ou bienveillance, mais aussi comme un terroriste potentiel après le 11 septembre. Il a aussi des raisons d’en vouloir à l’US Army… mais est tout à fait étranger à l’Iran, où sa seule attache est un oncle mutique.
Burlesque, poétique, intime
Peu à peu pourtant des bribes d’Iran surviennent, une histoire se reconstitue, touchante, surprenante, balayant les constructions du personnage, son histoire familiale, celle du père victime, de la mère disparue, de la guerre héroïque, du féminisme iranien. Kaveh Akbar livre au lecteur quelques éléments que son personnage ignore, entretenant ainsi un suspense savamment dosé. Qui est donc ce Martyr, de qui, pour qui, avec quel degré d’ironie ? Le roman, à chaque instant, se transforme, passant de scènes burlesques à une apologétique poétique, puis à l’intimité profonde, pudique, d’une révélation filiale, et d’une histoire d’amour. Impossible en Iran, mais que le personnage acceptera lorsqu’il aura compris d’où il vient.
AGNÈS FRESCHEL
Martyr !, de Kaveh Akbar
Gallimard – 24 €
Sorti le 19 septembre
Traduit de l’américain par Stéphane Roque