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Monologue d’un acteur schizophrène

John a-dreams, le monologue de Serge Valletti, porté jusqu’à la folie par Patrick Pineau, confine au génie de l’acteur

Serge Valletti n’a longtemps écrit que des monologues, qui tous ont l’épaisseur des puits creusés dans les consciences, chaque couche révélant un état de conscience, une histoire cachée, qui affleure et reste ensuite là, à la surface, pour y imposer son effet. Un des plus réussis de ces monologues est sans doute Monsieur Armand dit Garrincha (2001) qui explore deux personnages en un, un obscur footballeur amateur persuadé qu’il a « fait » Garrincha, star du foot brésilien lui-même mort dans la misère et l’alcool. Dix ans après ce texte Serge Valletti répond à la commande de Patrick Pineau, qui ayant vu Garrincha lui demande un monologue sur Hamlet… mais à la lecture l’acteur décide qu’il est trop jeune pour porter ce John a-dreams, écrit pourtant sur mesure par l’auteur marseillais. L’écriture est faite de méandres, de digressions, de plans qui s’entrecroisent sans que l’on sache jamais lequel est le réel et lequel le rêvé, lequel un pur fantasme et lequel une évocation du passé.

Mourir, dormir, rêver peut-être

Car Valletti a répondu à la lettre à cette commande d’un texte sur Hamlet : sans jamais en raconter l’histoire, en reprendre les personnages. ou les décors, il y combine des éléments épars. Un spectre traverse l’espace, demande des comptes au personnage sans nom (Hamlet ?) qui autant que le prince de Danemark aime le théâtre, a été trahi par un ami de son père, a perdu son amour pour l’avoir négligée…et ne sait plus distinguer ce qu’il joue et ce qu’il vit, ce qu’il désire faire et ses actes réels. Un personnage proche de la schizophrénie, qui pourrait être un acteur qui a perdu pied, un marginal mythomane, un célibataire ou un veuf, ou Hamlet qui aurait survécu à son combat contre ses pères… Ces voix s’entrecroisent et creusent dans la conscience rétive de cet homme seul pour y révéler des histoires cachées. Sylvie Orcier, qui le met en scène, a conçu la scénographie comme le dépliement des diverses facettes du personnage, qui s’efface derrière un voile, se dédouble sur un écran, se transforme en fantôme pour franchir les portes que le vieil homme refuse d’ouvrir, apparaît derrière un miroir écran. Le décor, malgré les projections, a tout d’un intérieur vieillot oppressant où se seraient accumulés les objets et les gestes inutiles et rassurants. Au fond du trou creusé par les révélations successives du personnage, il n’y aura pas le meurtre du père et la trahison de la mère, comme dans Hamlet, mais un viol subi, et une maltraitance. Patrick Pineau incarne le personnage avec une prodigieuse virtuosité, tantôt au bord de la panique, tantôt franchement dedans, se rassurant comme il le peut par des gestes compulsifs, grandiose et tendre, jamais calmé. Avoir creusé le trou de la conscience permettra pourtant au personnage non de retrouver la raison, mais une certaine paix. Et d’aller s’allonger auprès du fantôme de la femme aimée.

AGNES FRESCHEL

John a-dreams
Du 3 au 5 octobre
Le Liberté, scène nationale de Toulon

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