samedi 9 novembre 2024
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Miséricorde, arborescences amoureuses

Dans Miséricorde, Alain Guiraudie adapte son roman-fleuve Rabalaïre. De l’amour, de la jalousie et de la violence… qui sentent bon la forêt

C’est l’histoire d’un retour, nous résume Alain Guiraudie qui ajoute avoir voulu filmer l’automne et un village entre le Larzac et les Cévennes vers lequel on roule dès le générique, caméra embarquée, par des routes désertes, dans le flamboiement rouge. Un village ni joli ni pittoresque. Façades austères, un panneau « à vendre » sur une fenêtre close, une église, une boulangerie fermée pour cause du décès du patron, Jean-Pierre.

C’est pour assister à l’enterrement de ce dernier que Jérémie (Félix Kysyl) son ancien apprenti revient à Saint-Martial, après dix ans d’absence. Il retrouve Martine (Catherine Frot) la veuve du boulanger, leur fils Vincent (Jean-Baptiste Durand) et un autre ami de collège, Walter (David Ayala). Le premier, marié, un enfant, a renoncé à des conneries de jeunesse dont on ne saura rien. Le second célibataire et orphelin a lâché le boulot d’agriculteur faute de rentabilité et vit de peu dans la ferme familiale. Il retrouve aussi le curé Philippe Grisolles (Jacques Develay) qui œuvre dans tout le désert clérical environnant.  Figure tutélaire dont le discours – pas toujours très catholique, sur la vie, l’amour, la mort, les arrangements avec sa conscience et la loi, la miséricorde comme exercice difficile mais nécessaire, accompagnera tout le film. Jérémie n’est pas vraiment bien accueilli par ses anciens amis. Il s’installe chez la veuve dans la chambre de Vincent, feuillette les albums photos avec elle, se fait dorloter, prolonge son séjour au grand dam de Vincent, dévoré par la jalousie, et qui l’accuse de vouloir coucher avec sa mère.

Amour, crime et botanique

Ce pourrait être du Racine : M. aime J. qui a aimé J-P. et aime W. Mais P. aime J. et V. aime peut-être W. ou J. – va savoir ! Le désir circule entre les personnages, jamais réciproque. Et depuis longtemps. La jalousie comme un levain fait monter la violence. Oui, ce pourrait être du Racine mais c’est bien du Guiraudie. Sans alexandrin, sous la feinte banalité des mots, dans l’étrangeté des non-dits, des sous-entendus, des mensonges révélateurs, des silences qui font monter tension et malaise. « C’est la force du désir, ne la sous-estimez pas » déclare l’abbé Grisolles au duo de gendarmes enquêtant sur la disparition de Vincent.

Guiraudie distille un érotisme sans esthétisme, sans pornographie, sans voyeurisme, sans acte sexuel, l’humour en prime, tendre et un rien goguenard. Offrant à la caméra des corps non formatés dans lesquels coulent les passions tout aussi tragiques que celles des rois et des princes. Celui de Martine serré dans un vieux peignoir rose informe. Celui de Walter lourd et gras, celui du vieux curé dont le réalisateur ne cachera ni le sexe en érection de profil ni les fesses flétries. Le désir s’accroche à un marcel défraîchi sans Marlon Brando, un slip kangourou trop grand ou le pyjama d’un défunt parfaitement ajusté qu’on enfile. Les bagarres entre Jérémie et Vincent oscillent entre coups et étreintes. Sous l’humus, pointent, érectiles, les champignons, délices nés sous la décomposition des feuilles rouge sang qui pourraient se ramasser à la pelle sans regret – mains coupées d’Apollinaire dans un automne sensuel et vénéneux. On connaît l’importance des lieux chez le réalisateur. Du causse épique des Gueux aux bois de l’Inconnu du lac. Ici, c’est la forêt. Omniprésente. Claire Mathon à la photo joue des aléas de la lumière naturelle, nocturne et diurne, et nous, nous ne pourrons sans doute jamais plus manger une omelette aux morilles de la même façon.

ÉLISE PADOVANI

Miséricorde, d’Alain Guiraudie

En salles le 16 octobre

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