vendredi 11 octobre 2024
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessous
AccueilNos critiquesEn rayonAvalée par le vent

Avalée par le vent

Vanda, opéra-soliloque déchirant de Lionel Ginoux, retranscrit le cri d’une migrante victime d’un viol

C’est moins à un chant qu’à un cri de rage que Vanda nous invite, forte de son caractère unique dans le paysage musical contemporain. Adapté du texte de théâtre Le Testament de Vanda de Jean-Pierre Siméon, cet opéra de chambre transcende le simple cadre musical pour offrir une expérience sensorielle et émotionnelle rare. Il est porté, pour cet enregistrement, par la voix envoûtante, tour à tour rauque et éclaircie, moelleuse et intimiste de la mezzo-soprano Fanny Lustaud et la viole de gambe vive et vigoureuse de Marie-Suzanne de Loye

La partition de Lionel Ginoux marie avec habilité les vestiges de la musique baroque, convoquée par la viole de gambe semblant poser par endroits de simples ostinatos, avec des sonorités contemporaines, dans la désarticulation de la tonalité, dans le choix d’une ligne vocale souvent disjointe mais aussi dans un recours savamment dosé à l’électronique. Il crée ce faisant un langage musical unique et évocateur. La musique se fait, comme dans Sans Domicile Fixe, cycle de mélodies composé quelques années plus tard par Ginoux également sur des textes de Siméon, vecteur de la parole poétique convoquée comme un témoignage. Chaque note, chaque inflexion de la voix narre sans détour l’histoire tragique de Vanda, une femme aux prises avec les ombres de l’exil, de la souffrance et de l’errance. Cette palette d’expressivités, magnifiée par la voix lyrique de Lustaud et la douceur enveloppante de la viole de gambe, permet d’explorer les strates de souvenirs et de douleurs sur lesquelles s’est construite Vanda. 

Trauma tragique

Le choix de la viole de gambe, grave et enveloppante, permet au compositeur de mettre en évidence la fragilité de Vanda. Toujours audible et compréhensible, ce récit à la première personne se teinte de contrastes, oscillant entre douceur et tension. 

Créé à l’Opéra de Reims en 2016 avec Ambroisine Pré dans le rôle-titre, Vanda impressionne encore, sans dispositif scénique, par la seule puissance de son histoire et des moyens musicaux convoqués pour la raconter : soit la voix résignée de Vanda, migrante venue des Balkans vers la jungle de Calais, décidée à abandonner sa fille, fruit d’un viol collectif. On croirait entendre par endroits des tirades extraites d’un Wajdi Mouawad ; ici encore, c’est la poésie et la force de la langue qui semblent seules aptes à guérir du trauma. Portée par ses élans, « avalée par le vent », Vanda aurait pu échapper à la tragédie de son destin. Mais lorsque son récit commence, il semble déjà être trop tard.

SUZANNE CANESSA

Vanda, de Lionel Ginoux
Label Nervure
Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
ARTICLES PROCHES
- Publicité -spot_img
- Publicité -spot_img
- Publicité -spot_img

Les plus lus