Zébuline. Ce livre est -il écrit dans la perspective des prochaines élections municipales ?
Sébastien Barles. Non, grand dieu non !
En égratignant dans votre livre le Printemps Marseillais, vous avez déclenché un début de polémique.
Ce n’était pas mon objectif, loin de là. Mon retour sur la dernière campagne électorale, c’est 3 pages sur 220. Ce livre a pour unique vocation de réfléchir sur ce que pourrait être une ville en transition énergétique et plus douce à vivre. Je prends du recul, je donne des pistes et j’espère que mes amis de la majorité, mais aussi tous les Marseillais, tous les citoyens s’en empareront.
Pourquoi avez-vous eu envie de publier ce livre ?
Lorsqu’on est élu, on est happé par le quotidien et les dossiers à traiter en urgence. Or la transition écologique implique d’avoir une vision sur le temps long. L’idée était de prendre du recul et d’imaginer un modèle de ville résiliente, singulière, répondant aux défis climatiques, à la nécessité de plus de justice sociale et à la question de la place des élus dans une gouvernance démocratique. J’ai choisi l’année 2030 car il s’agit de la date fixée par la feuille de route européenne, co-élaborée avec les collectivités locales, le monde scientifique et associatif, dans le cadre du contrat ville climatique, à la suite de l’obtention par Marseille du label européen des 100 villes climatiquement neutres.
Dans la première partie, vous dressez le bilan désastreux de la période que vous appelez des 3 G.
Les 3 G, ce sont Gaston (Deferre), Gaudin et Guérini. Avec eux, le clientélisme a régné dans notre ville durant 60 ans et a laissé les services publics exsangues et les logements s’effondrer. Tout est à reconstruire. On critique souvent le comportement des Marseillais. Mais si on veut que les citoyens respectent les institutions, le « vivre ensemble », il faut que les pouvoirs publics et les collectivités soient exemplaires. Je parle aussi de dépasser l’idéologie libérale du « ruissellement » selon laquelle la Métropole, en se développant, irriguerait la ville et répondrait à ses besoins. Or, la Métropole a tourné le dos à Marseille, pas seulement parce que politiquement les relations entre les deux entités sont très dégradées, mais parce que Marseille est la ville des « pauvres ». Ce modèle ne fonctionne pas. Il faut faire à l’inverse.
C’est-à-dire ?
Il faut imaginer un modèle autocentré, autosuffisant en matière énergétique et alimentaire avec une démarche circulaire, limitant les déchets. Nous avons la chance d’avoir une ville archipel avec ses 111 quartiers reliés entre eux. Il faut les réinvestir, renouer avec des coopératives de proximité socialement utiles, développer des fermes urbaines, mutualiser les ressources, créer des pôles de compétences tournés vers la réparation écologique. Le port est aussi un enjeu. À quoi doit-il servir ? Pour décarboner, il faut esquisser un projet qui ne soit pas fondé sur la grande industrie ou les croisières.
Vous imaginez une ville sans voiture. Ce n’est pas très populaire.
Cela ne l’est pas, parce qu’il y a à Marseille un immense problème de mobilité, en particulier par manque de transports en commun. La tâche est immense. Il faut limiter le trafic de transit en relocalisant plus d’activités dans les quartiers, en développant le plan vélo, les voitures électriques en autopartage, des véhicules adaptés non polluants à tarifs sociaux pour les personnes âgées ou les vélos cargos pour les livraisons. Ces derniers pourraient être fabriqués ici, à Marseille, ce qui créerait des emplois. Il faut aussi libérer le stationnement en surface. De même nous réclamons depuis longtemps un RER métropolitain reliant les grandes villes de la Métropole, Marseille, Aix, Aubagne, Vitrolles. Tout ceci permettrait de reconquérir l’espace urbain, se réapproprier les places, les trottoirs pour y développer la vie sociale, des lieux de rencontre, des aires de jeux. L’Italie l’a fait, pourquoi pas nous ?
Vous parlez de créer un revenu de transition écologique. De quoi s’agit-il ?
Il s’agirait d’une aide financière pour permettre aux personnes souhaitant se reconvertir dans une activité plus utile écologiquement et socialement de se former, par exemple, un boulanger ou des agriculteurs qui voudraient se mettre au bio, un artisan souhaitant apprendre à utiliser des produits moins polluants ou pour développer des activités émergentes. Notre ville regorge de pépites, d’oasis de créativité, d’inventivité, d’énergie. Il faut les soutenir.
2030, c’est demain, êtes-vous optimiste pour cette transition ?
La ville a connu une telle inertie ces cinquante dernières années, un tel retard, que paradoxalement c’est une chance pour Marseille car il n’y a rien à déconstruire. C’est une friche, un laboratoire où tout est à inventer. Elle peut devenir cette ville sobre écologiquement, cosmopolite humainement, une ville méditerranéenne populaire à la douceur de vivre, une ville des possibles.
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR ANNE-MARIE THOMAZEAU
Marseille 2030 : la ville des possibles, de Sébastien Barles
Éditions de l’Aube - 17€