Elles s’appellent Majda, Haidi, Monika… Elles vivent dans le quartier copte de la petite ville d’Al-Bashra, dans le sud de l’Egypte. Elles ont une quinzaine d’années et des rêves plein la tête, dans un moment charnière pour elles. Celui où elles deviennent femmes et où elles vont devoir choisir leur voie ou suivre ce que leur famille ou la tradition impose.
Elles sont un groupe de six, unies par la passion du théâtre et elles ont fondé une troupe de rue. Leur salle de répétition est un local vétuste où elles ont construit elles-mêmes leur scène avec des planches. Leur cheffe de troupe, Majda, rêve d’aller étudier le théâtre au Caire. Monica, au départ blessée par son surnom de « fille à la voix d’homme » assume sa voix grave et rêve de devenir chanteuse. En attendant, ensemble, elles jouent des saynètes dans les rues, font des performances pour exorciser les maux dont les femmes souffrent : enfermement, harcèlement, pressions familiales, mariages précoces et forcés.
Parmi leurs spectacles, La Noce, où elles interpellent les spectateurs, hommes et femmes, qui répondent, parfois agressivement : « Êtes-vous heureux en ménage ? N’avez-vous pas été mariée trop jeune ? Les femmes n’ont donc aucun droit à l’amour ? » C’est le quotidien de ces adolescentes, femmes en devenir, que Nada Riyadh et Ayman El Amir ont filmé pendant quatre ans. À l’extérieur, dans les rues, dans leur salle de travail en plein brainstorming : « Penser à un rêve » ; mais aussi dans leur famille, leur intimité. « Notre idée initiale était de faire un film sur le théâtre, mais les filles ont commencé à nous présenter leurs parents, leurs familles, leurs fiancés, et notre projet a pris une autre envergure », précise Ayman El Amir.
On assiste aux fêtes familiales, au mariage de Monica, au baptême de son fils, au découragement de Majda, parfois. Deux séquences en particulier montrent la grande complicité entre filmeurs et filmés. Haidi qui s’est fiancée ne peut plus se rendre à l’atelier théâtre. Et devant la caméra, son fiancé lui ordonne de rompre avec ses amies, de supprimer leurs numéros et lui arrache le téléphone. « Les hommes sont à l’écran comme ils sont dans la vraie vie : ils sont fiers de leur identité, les opinions qu’ils formulent sont les leurs », explique Nada Riyadh. Si cette séquence nous montre à quel point la bataille est rude pour les femmes, une autre scène entre Haidi et son père, en écho, nous donne un peu d’espoir. Il s’étonne que sa fille ait abandonné la troupe qu’elle suit depuis 7 ans et ne sorte plus. Craignant qu’elle ne soit sous l’emprise de son fiancé, il la met en garde : elle n’est pas obligée de se marier si jeune !
On passe presque deux heures et demie en compagnie de ces jeunes femmes, partageant leurs doutes, leurs peurs, leurs joies, leur complicité, leur énergie. Et même si l’on se dit que la route est encore longue, ce documentaire dont le titre arabe est Rafaat einy ll sama et le titre anglais The Brink of Dreams nous remplit d’espoir en l’avenir. Sélectionné à la 63e Semaine de la Critique, il a remporté l’Oeil d’or du documentaire (ex-aequo avec Raoul Peck) attribué par le Festival de Cannes et par la SCAM (Société des auteurs multimédia) au meilleur documentaire toutes sections confondues.
ANNIE GAVA
Les Filles du Nil a été projeté le 12 novembre dans le cadre du festival Africapt.
En salles le 29 janvier 2025