C’est avec des œillets à la boutonnière que le service d’accueil des publics du Zef nous reçoit en ce jeudi 23 janvier. « Dessous, les œillets », le sous-titre du spectacle Battaglia, est le premier indice d’un jeu de piste, présenté par Marie Lelardoux et sa compagnie marseillaise. Le point de départ de ce projet est à chercher du côté de Pina Bausch qui, en 1982, recouvre les plateaux d’œillets. Cette séquence bouleverse la dramaturge, qui en réalise une audiodescription en 2021 et impulse l’histoire d’un tableau qu’on ne contemplera jamais. Cette œuvre invisible nous est décrite, dès le début du spectacle, par un enfant qui va jouer le rôle de passeur. « Fermez les yeux et imaginez » dit-il en guise d’introduction.
La fable est résumée en quelques mots : deux archéologues sont à la recherche de sa peinture qu’ils vont retrouver dans une grotte. Puis vient la description du tableau : le ciel est « marron vieux », sur une colline se situe le champ de bataille « avec des chevaliers, des espèces de lance […] des guerriers, des chevals […] des fleurs rouges dans le champ ». Sur scène, l’image se déploie, prenant corps dans le dispositif scénique, la création lumière et sonore. Les deux adultes présents sont à la fois archéologues et figures du tableau. La peinture fait alors l’objet d’une investigation minutieuse, strate après strate. De nouvelles images apparaissent alors, au fur et à mesure que l’on gratte la surface de l’œuvre picturale. À l’instar d’un palimpseste, d’anciens récits refont surface. La scénographie, entièrement modulable, est explorée dans toutes ses dimensions, tandis que résonnent les textes de Buchner ou de Shakespeare pour les plus connus. L’extrême lenteur des déplacements des protagonistes, comme empêtrés dans le récit, contraste avec la vivacité de l’enfant, qui vient clore le spectacle et éveiller le public de ce songe d’une nuit d’hiver, à la lueur d’une veilleuse, précieusement serrée dans sa main.
ISABELLE RAINALDI
Spectacle donné le 24 janvier au Zef, Scène nationale de Marseille.
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