Le monde de la culture est impacté de plein fouet par la crise politique, budgétaire et écologique. Porteur de valeurs et souvent tributaire de fonds publics, il doit s’adapter rapidement aux bouleversements mondiaux. Pour réfléchir à ces questions, le Cercle de Midi, association de 39 programmateurs en Région Sud a organisé à Gap le débat « Culture, ruralité et transition écologique : trouver un chemin ensemble »
En Région Sud, les institutions financées par le ministère de la Culture vont adhérer en 2025 au Pacte d’engagement national de transition écologique. Pour les autres, le texte demeure de portée générale mais inévitablement, ils devront faire évoluer leurs pratiques. « Avec le programme Transitions en scènes, ce pacte veut accompagner le secteur de la création dans ses mutations », explique Jérémie Choukroun, référent transition écologique à la Drac. Il s’agit de diminuer l’empreinte environnementale du spectacle vivant, premier secteur culturel de la région – 1000 festivals par an – très impactant écologiquement en raison des mobilités qu’il induit.
Certains ont devancés l’appel. 39 structures parmi les plus emblématiques comme Les Rencontres d’Arles, Marseille Jazz des cinq continents, le Festival de Marseille se sont associées il y a déjà dix ans au sein du collectif COFEES et mènent des actions innovantes. Ainsi en 2024, 30 compagnies d’Île-de-France participant au festival Off d’Avignon se sont organisées pour faire acheminer les scénographies par fret ferroviaire mutualisé. Ce qui a permis d’éviter 50 000 km de transports par route (1,2 fois le tour de la Terre) et 23 tonnes de CO2.
Pour les petites structures, le challenge est de taille. Comment explorer de nouvelles pistes quand on ne sait pas comment on va payer chaque mois les quelques salariés ou prestataires ? Dans la salle du Conseil départemental des Hautes-Alpes, ça s’agite dans les travées. Philippe Teillet, responsable du master « direction de projets culturels » à l’IEP de Grenoble n’est pas là pour rassurer. Il la joue cash (ou résigné) : « Les temps ont changé. N’imaginons pas que les élus, aussi bienveillants soient-ils, vont subventionner l’innovation. En revanche, on peut leur proposer de réfléchir ensemble de co-créer ».
Territoire des possibles
De plus en plus de regards se tournent vers le monde rural avec ses territoires enclavés, peu peuplés. Laissés pour compte des politiques cultuelles, ils ont appris, par la force des choses,à inventer. C’est le cas de l’association Kaya, située à Embrun. « Nous avons amorcé un immense travail sur nos consommables. Nous récupérons le mobilier, avons recours aux circuits courts et utilisons un générateur solaire qui permet d’alimenter une scène autonome ».

« Le monde rural n’est plus aujourd’hui un espace de relégation, c’est un territoire des possibles », s’enthousiaste Philippe Teillet. Comme l’est peut-être le Festival de Chaillol. Né en 1997 dans ce petit village, cette désormais « institution » propose chaque année une vaste programmation de concerts et un festival d’été, pour les habitants des Hautes Alpes. La miseen place de « résidences » permet aux artistes de s’intégrer dans le tissu local et de proposer plusieurs dates dans différents lieux. Ils se déplacent au cœur des villages des vallées haut-alpines et la coopération avec les collectivités et les acteurs du territoire est au cœur du projet.
« Les dynamiques mises en place dans le monde rural vont devenir un modèle et le travail en coopération obligatoire » estime Philippe Teillet qui ajoute : « le contexte géopolitique est inquiétant. L’affectation des finances publiques ne sera pas favorable à la culture. C’estpourquoi les gros évènements urbains en compétition les uns avec les autres vont devenir insoutenables ». Même les Chorégies d’Orange et le Festival d’Art Lyrique d’Aix en Provence, longtemps installés dans leur splendide isolement ont compris, à la suite des difficultés financières de 2024, l’intérêt de nouer des partenariats. La coopération n’est pas simple. C’est un état d’esprit jusqu’alors peu valorisé. Mais c’est un beau pari : modifier nos façons de créer, de produire, de diffuser, de travailler pour faire… ensemble.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
« Le monde rural est en avance »
Deux questions à Laurent Eyraud-Chaume, co-directeur de la compagnie du Pas de l’Oiseau (Veynes 05)
Pourquoi être membre du Cercle de midi ?
En tant que programmateur et directeur d’une compagnie, il me semble important de travailler collectivement afin que le secteur du spectacle ne soit pas qu’une jungle. On ne peut pas compter seulement sur Avignon pour repérer des artistes. Beaucoup, pourtant talentueux, n’y ont pas accès. Nous travaillons dans un souci d’équité.
Avec la crise, le monde rural peut-il ouvrir des pistes ?
Le monde rural a toujours été un lieu d’invention, de création, de proximité. Peu doté en équipements, en financements, nous avons depuis longtemps appris à mutualiser. Nous sommes moins dans la marchandisation. La « consommation » de spectacles, ce n’est pas pour nous. Les acteurs culturels du monde rural ont toujours organisé du lien social, des moments de rencontres, d’échanges. La culture est au cœur même de la vie rurale. En ce sens, je dirai que nous sommes en avance.
Découvrir des pépites
Rencontres en scènes permet de découvrir des spectacles choisis par trente programmateurs du réseau Le Cercle de midi
Le journal d’Anne Frank du Collectif Cocotte-Minute (13) : Immersion dans le quotidiende l’adolescente durant les deux ans où elle vécut cachée avec sa famille avant leur déportation. Le spectacle mêle lecture de Magali Fremin du Sartel, violon de Benjamin Balthazar et projection d’un film réalisé par le collectif. Bouleversant et pédagogique. (27 et 28 mars Festival Music & Cinema Marseille – Cinéma Le Gyptis – Marseille)
Tu connais la chanson ? du Collectif Animale (84) : C’est un blind test musical et poétique. Le comédien, pianiste et chanteur Louis Caratini propose un spectacle participatif et sacrément érudit dans lequel il retrace l’histoire de la « bonne » chanson française. (23 mai, théâtre Denis à Hyères)
David Lafore : Chanteur et guitariste à la maitrise parfaite, qui se qualifie lui-même de loufoque, il écrit des textes irrésistibles qui font rire et pleurer. On pourra l’entendreaccompagné du batteur Gildas Etevenard à La Mesón (Marseille) le 17 mai.
Little cailloux de la Compagnie Itinérrances : s’adresse aux tout-petits avec un spectacle qui exprime la liberté et la joie. 12 et 13 mars au Théâtre Comoedia, (Aubagne).
ANNE-MARIE THOMAZEAU
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