En mars dernier, le long métrage en noir et blanc de Paola Cortellesi, Il reste encore demain – qui traitait de la violence domestique endurée par les femmes et dont l’action se déroulait après-guerre, pulvérisait les entrées au box office en Italie. Cette année, un autre film, Familia de Francesco Costabile, présenté à la Mostra 2024, revient sur le même thème. Mais son scénario s’ancre dans la réalité contemporaine et s’inspire du récit autobiographique de Luigi Celeste : Non sarà sempre così. Autant dire que ce fait de société s’inscrit dans une continuité historique et garde, hélas, une actualité dramatique.
Le titre du film renvoie au tout puissant et redoutable pater familias romain. D’ailleurs on est à Rome. Pas celle de la Piazza Navona mais celle plus générique des cités périphériques. On ne verra guère la ville, la mise en scène enfermant la plupart du temps les personnages dans des intérieurs étroits, salle à manger, cuisine, corridor, cellule, parloir.
Licia (Barbara Ronchi) a deux fils. Alessandro et Luigi. Ils forment une petite famille aimante, dont l’équilibre et la paix sont menacés par la libération du père et mari, Franco (Francesco Di Leva). L’homme a passé 9 ans en prison pour vol à main armée. On comprend que les violences exercées sur sa femme l’ont également condamné à un « effacement du noyau familial ».
Mais la terreur est toujours présente chez Licia, qui change ses serrures, et chez Alessandro, l’aîné des garçons, qui entend encore les cris de sa mère sous les coups du père. Et en passant par ses fils et la faiblesse du cadet, Franco arrive à s’approcher du foyer et à s’y immiscer. Les violences reprennent, la police arrête Franco. Ale et Gigi sont envoyés en foyer, séparés pendant quatre ans de leur mère. Un traumatisme s’ajoutant aux autres. Une injustice pour la femme battue s’ajoutant aux autres.
« Respire »
Allers retours entre espoirs et désespoirs, calme et tempête, moments de bonheur et scènes cauchemardesques, entre silences et cris, mensonge et vérité, le film crée un rythme spasmodique. Dans ce couloir où chuchotent les enfants tandis que leur mère hurle derrière la porte de la chambre, on est Licia, on est Luigi, on est Ale. « Respire » dit Ale à son petit frère. Mais comment faire, la boule à la gorge ?
La B.O. signée Valerio Vigliar est d’une redoutable efficacité pour accompagner et souligner ces tensions. On est dans un Shining. Franco est le diable en personne, passé maître dans l’art de la manipulation, dévoré par la jalousie, enfermé dans sa propre toxicité fatale. On entre dans les peurs de chacun. Celles de Licia marquée à jamais dans son corps, soumise comme une bête terrorisée. Celle des fils. Gigi, surtout, qui ne voudrait pas ressembler à son père et craint de poursuivre une relation amoureuse avec Giulia (Tecla Insolia).
Les miroirs déformants d’une fête foraine leur renvoient une monstruosité potentielle. Le réalisateur dissèque la complexité des sentiments et des émotions de chacun, s’attardant davantage sur Luigi qui devient le personnage principal. Rien n’est simple. Tous voudraient tant « faire famille ».
Ce mélodrame noir comme la nuit dans laquelle le directeur de la photo Giuseppe Maio, le plonge le plus souvent, rapproche la chronique sociale et le cinéma d’horreur, impliquant le spectateur quitte à le malmener un peu.
ÉLISE PADOVANI
Familia, Francesco Costabile
En salles le 23 avril