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Toursky : une page se tourne

Le Théâtre Joliette, l’association Bancs Publics et la compagnie Dan6T reprennent ensemble la direction du Théâtre Toursky. Récit d’une reprise, et d’un nouveau projet 

Ce vendredi 25 avril au matin, une petite dizaine de personnes se réunissent aux abords de la mairie de Marseille. Ce sont les derniers soutiens à l’ancienne direction du Toursky, qui dénoncent ensemble « l’assassinat » du théâtre par la mairie, dont le Conseil municipal s’apprête à voter les subventions pour l’association repreneuse. Quelques heures plus tard, c’est sans surprise que le Conseil tranche. 680 000 euros sont alloués à Scène Méditerranée, la nouvelle association désormais en charge du théâtre fondé par Richard Martin et Tania Sourseva en 1971, et propriété de la Ville.  

Cette décision du Conseil municipal est dans la continuation d’une autre décision. Le 4 avril 2025, le Tribunal judiciaire de Marseille avait déjà statué sur l’avenir du théâtre. La compagnie Richard Martin, placée en redressement judiciaire, devait céder la place à Scène Méditerranée, regroupant le Théâtre Joliette, Bancs Publics et la compagnie Dans6T. Avec cette subvention votée, le Théâtre Toursky, qui devra bientôt changer de nom [lire encadré], peut espérer une ouverture dès septembre, avant de dessiner une première « vraie » saison pour septembre 2026.

Trouple de théâtre 

C’est donc une direction à trois têtes qui prend les rênes du théâtre du quartier de Saint-Mauront. Nathalie Huerta, directrice du Théâtre Joliette, Julie Kretzschmar, directrice de Bancs Publics, association organisatrice du festival Les Rencontres à l’échelle, et Bouziane Bouteldja, à la tête de la compagnie tarbaise de danse Dans6T. Ils seront tous les trois en charge de la programmation et de la direction artistique – un·e coordinateur·ice général·e sera aussi recruté·e pour assurer la gestion quotidienne de lieu. 

Une entente à trois qu’ils expliquent par un long compagnonnage artistique. « Cela fait plus de 10 ans que je travaille avec Bouziane » explique Nathalie Huerta. « Il était déjà compagnon du Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine que je dirigeais, et on a prolongé cette complicité depuis mon arrivée à Marseille [il y a 3 ans, ndlr]. » « J’ai toujours été raccord avec ses choix artistiques », commente quant à lui Bouziane Bouteldja. 

Même discours de Nathalie Huerta sur sa relation avec Julie Kretzschmar. « On a lié une connivence artistique dans le but d’accompagner des artistes en Afrique et dans le monde arabe. On a développé beaucoup de projets internationaux ensemble, avant même mon arrivée à Marseille ».

Alors quand le théâtre est placé en redressement judiciaire en juillet 2024, Nathalie Huerta a eu « l’intuition que c’était le bon endroit pour formaliser ce partenariat un peu plus fortement ». D’autant que la Ville leur avait dit que ce serait bien « d’imaginer des projets collaboratifs par les opérateurs culturels de Marseille ». Le projet à trois est déposé devant la justice, avec l’assurance d’une Convention d’occupation temporaire signée par la Ville, offrant un poids certain au projet. « J’ai toute confiance dans cette association qui va poursuivre une mission artistique avec honnêteté, respect, et engagement », explique Jean-Marc Coppola, adjoint au maire de Marseille en charge de la Culture. 

Un centre de danse dès septembre

Après quelques travaux pendant l’été (principalement la toiture), la première pierre du nouveau projet sera posée dès septembre, avec l’ouverture d’un « centre de danse » qui aura tout d’une école – même s’ils préfèrent éviter le mot. « Il y aura des élèves et des professeurs sur le même modèle qu’à Tarbes », explique Bouziane Bouteldja, qui portera le projet. « Le but est que les élèves soient en contact avec les artistes, les chorégraphes » qui passeront par le théâtre, et de « mixer les publics », comme dans les Pyrénées où le chorégraphe fait « danser des femmes des montagnes avec des femmes des quartiers. » 

Le tout sans faire « concurrence » aux structures déjà présentes dans le quartier, que ce soit en termes de tarifs ou de propositions artistiques, prévient le chorégraphe : « On va combler des vides et pas rajouter de l’offre à ce qui existe déjà. » L’axe sera porté vers les « danses nouvelles », celles nées depuis les années 1970, comme le voguing ou le breakdance. Il espère aussi que des ponts soient créés avec la future Maison des cultures urbaines à La Villette (Paris), qui doit ouvrir à l’automne. 

La nouvelle direction a pris possession des lieux depuis la décision du 4 avril 2025 du Tribunal judiciaire de Marseille © N.S.

Quel horizon artistique ?

Une ouverture en septembre, ambitieuse, mais nécessaire selon eux. « Il faut que ce théâtre vive et que l’on connecte tout de suite avec le quartier. » Car si le théâtre accueillera en cours d’année des festivals et des « moments forts », la première « vraie » programmation ne sera proposée qu’en septembre 2026. 

La direction entend y défendre un « service public de la culture : pour la création artistique et pour le territoire. » Côté création artistique, c’est dans l’accueil des artistes régionaux que le théâtre souhaite s’engager, constatant des difficultés « pour les artistes d’avoir des espaces de travail ». L’idée est « d’avoir des dispositifs qui permettent beaucoup de résidences. » De la place aussi pour ces artistes dans la programmation et dans les co-productions promet Nathalie Huerta. 

Des artistes internationaux et émergents seront accueillis également, dans des programmes de saisons qui laisseront de la place à l’inconnu. « On souhaite se laisser du mou pour réagir en fonction des besoins, avoir de la marge de manœuvre. L’originalité de notre alliance doit se refléter dans ce que l’on va proposer au public. » 

Un théâtre populaire ? 

Installé dans un des quartiers les plus pauvres d’Europe, l’ouverture sur son territoire était une des conditions nécessaires pour convaincre la Ville de soutenir ce projet. « Nous portons beaucoup d’attention à ce quartier qui a longtemps été abandonné » explique Jean-Marc Coppola, qui rappelle que la Ville va ouvrir d’ici quelques mois la Médiathèque Loubon à 500 mètres de là. « Nous voulons que ce théâtre puisse véritablement être ouvert à toutes et tous, au service des artistes et compagnies régionales, des habitants du quartier et du territoire », poursuit-il. 

Un souci partagé par Bouziane Bouteldja, dont la compagnie Dans6T a toujours revendiqué une démarche citoyenne. Lui qui dit passer une semaine par mois à Marseille depuis 8 ans (il est partenaire du Théâtre de la Cité à Marseille), explique avoir déjà discuté avec certains voisins du théâtre, qui ne s’y sont jamais rendus : « On est dans un lieu où les gens ne sont pas très habitués à voir des spectacles. » Faute d’argent bien sûr, même « s’il faut faire attention à ce genre de discours, car quand c’est Jul qui passe, ce n’est jamais trop cher…» 

Pour lui, le problème est aussi socioculturel. « Ça veut dire que pour ces gens, le théâtre n’est pas un espace où l’on se sent bien. » Pour amener ces publics à pousser les portes du théâtre, Bouziane Bouteldja a déjà expérimenté plusieurs techniques, comme intégré des publics amateurs dans la création de ses spectacles. « L’an dernier à Marseille, j’ai proposé le spectacle Recréation avec 30 gamins qui viennent sur le plateau. C’était la première fois que leurs parents venaient au théâtre. » 

Le nerf de la guerre

Pour que le projet puisse être à la hauteur de ses ambitions, il faudra aussi compter sur le soutien des collectivités, dans un contexte pas franchement favorable à la culture. Si le soutien de la Ville a déjà été affiché lors du dernier Conseil municipal, reste à convaincre les autres tutelles, que sont l’État, la Région, le Département et la Métropole. Une réunion avait d’ailleurs lieu hier entre les différentes collectivités, et le projet du futur Toursky et de ses financements était certainement au menu des discussions. 

NICOLAS SANTUCCI

Le Théâtre Tourksy va changer de nom
Fondé en 1971, le théâtre ne s’appellera plus Théâtre Toursky. Nom déposé, l’ancienne équipe ne souhaite pas le céder à la nouvelle direction. Un choix que Nathalie Huerta regrette, sans s’apitoyer : « Ce nom a une histoire forte et une reconnaissance auprès du public. Mais c’est aussi une nouvelle page qui s’ouvre, et ce n’est peut-être pas plus mal ainsi. » Si l’association repreneuse s’appelle « Scène Méditerranée », le théâtre ne devrait pas porter ce nom pour autant. Le choix se fera en concertation avec la municipalité explique la direction. N.S.

Une belle histoire qui finit mal  

« Complot politique », batailles judiciaires et pneus crevés… la fin d’histoire de l’ancienne direction du Toursky ressemble à une mauvaise pièce de théâtre

L’invitation a été lancée sur Facebook, sur la page du Théâtre Toursky. Françoise Martin Delvalée, veuve de Richard Martin, ancienne directrice du Toursky, et auto-proclamée « lanceuse d’alerte », publie un long message au vitriol. Elle y dénonce « l’assassinat » du Théâtre Toursky, le déploiement de la police municipale devant les locaux, ou encore « l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques ». 

Le message, partagé près de 500 fois sur ce réseau social, demande à ses soutiens de se réunir vendredi matin avant le Conseil municipal qui doit sceller le soutien de la Ville à la nouvelle direction. Sur place, peu ont répondu à l’appel, une petite dizaine seulement, mais pas de quoi faire redescendre la température pour Françoise Martin Delvalée. 

Au mégaphone, dans la droite ligne de son message précédent, elle déplore un « complot politique », appelle à l’ouverture d’enquêtes parlementaires pour des faits supposés de corruptions, un signalement au « Comité national de la magistrature [sic]» sur « l’instrumentalisation de la justice », s’engage à aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme… 

Françoise Martin Delvalée lors du rassemblement devant le Conseilmunicipal © N.S.

Scènes dramatiques de Marseille 

Cet épisode n’est que la suite d’un long feuilleton tragico-judiciaire, qui a débuté lorsque la Ville a décidé de réduire puis de couper les subventions à la Compagnie Richard Martin, gestionnaire du Théâtre Toursky. Pour la mairie, propriétaire des murs, il n’était plus possible de financer un théâtre régulièrement en déficit, à la gouvernance instable, et visé par une enquête ouverte par le procureur de la République pour des chefs d’escroquerie et d’abus de confiance – une enquête toujours en cours.

Autre litige, l’absence de convention d’occupation temporaire signée entre la Ville et la direction du théâtre depuis 2014. Pour prouver son droit à occuper les lieux, l’ancienne équipe se prévalait d’un bail emphytéotique datant de 1970. Le Tribunal administratif de Marseille avait répondu à cette question le 15 juillet dernier : « Outre le fait que le bail emphytéotique, au regard de son importance, aurait dû être en possession de l’association requérante, d’autres mentions et d’autres pièces produites, qui actent d’un prêt gracieux des locaux dans les années 1970 et d’une convention d’occupation temporaire plus récente conclue entre les parties, permettent de tenir pour établie l’inexistence d’un tel bail. »

11 salariés sur 21 conservés

Peu de temps après, l’association gestionnaire était placée en redressement judiciaire, avant que la justice n’étudie les offres de reprises du Théâtre, et qu’elle porte son choix pour le projet de Scène Méditerranée le 4 avril dernier. Un projet que l’ancienne direction dénonce, notamment pour l’absence de reprise de la totalité du personnel. 

« 21 salariés c’est énorme en termes de masse salariale. On a gardé ce qu’on pouvait en fonction de la viabilité économique » se défend Nathalie Huerta, qui rappelle la « prudence » nécessaire dans un « modèle basé sur les subventions publiques. » « Si on n’avait pas fait cette proposition de reprise, le théâtre aurait certainement fermé » tranche Bouziane Bouteldja.

De son côté, Jean-Marc Coppola se dit « attentif à la question sociale », et juge la non-reprise de l’ensemble des salariés « regrettable », même si selon lui c’était le projet qui « reprenait le plus de salariés ». « J’imagine que les acteurs culturels de la ville de Marseille seront attentifs [au profil] des salariés non repris », conclut l’élu. 

« Méthodes de voyou »

Derrière les empoignades médiatiques et judiciaires, une drôle d’ambiance réside aussi dans ce Théâtre Toursky en pleine transition, où des actes de vandalismes sont apparus. La voiture de Richard Martin a été brûlée, et les quatre pneus d’une salariée – favorable à la reprise – ont été crevés. « Des méthodes de voyous » dénonce Jean-Marc Coppola, qui explique avoir été « obligé de prendre des mesures de sécurité pour protéger le site ».

Mais si les deux camps se déchirent, ils pourront s’accorder sur l’héritage que laisse Richard Martin dans ce lieu. Personnage iconique de la vie culturelle marseillaise, figure de la résistance au pouvoir… il serait inapproprié d’entrer au Toursky sans prendre soin de l’illustre fondateur. « On revendique aucune récupération mais on n’efface rien. Ce théâtre a une histoire, il ne faut pas la nier », explique Nathalie Huerta. Bouziane Bouteldja souhaite quant à lui « que ce lieu puisse redevenir ce qu’il a été pendant ses 30 ou 40 premières années. Un théâtre où la vie du quartier a toute sa place ». N.S.


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