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AccueilÀ la Une"L'effacement", entretien avec Karim Moussaoui

« L’effacement », entretien avec Karim Moussaoui

Le réalisateur algérien est venu présenter en avant-première au cinéma Les Variétés, son deuxième long métrage, L’Effacement. Rencontre

Zébuline. L’Effacement est adapté d’un roman de Samir Toumi paru en 2016. Pourquoi avez-vous décidé de l’adapter ? Qu’est- ce qui vous a touché, étonné ou tout simplement mis en écriture de scenario ?

Karim Moussaoui. J’ai lu le livre en 2017, avant l’avant-première à Alger de mon premier long métrage, En attendant les hirondelles. Deux jours après, j’ai eu envie de l’adapter car c’est un livre qui parle de liens intergénérationnels. Dans le roman, c’est l’histoire d’un jeune homme de 40 ans qui se réveille un matin, après le décès de son père et qui ne se voit plus dans le miroir. On apprend à connaitre le père à travers le personnage principal. Dans le film, on incarne le père avant sa disparition. J’ai proposé à l’auteur une adaptation assez libre : j’ai fait quelques changements comme le service militaire qui n’est pas dans le livre, mais je m’aperçois que globalement, il est assez fidèle. En fait, j’avais envie d’être un peu moins réaliste que dans mes films précédents, représentatifs d’une certaine réalité algérienne. J’ai voulu flirter avec le genre ; la thématique est contemporaine, pas uniquement liée à l’Algérie mais avec des éléments qui le sont. Ce père-là d’une génération après l’indépendance, l’espace géographique dans lequel évolue le fils. Mais on peut s’identifier même en n’étant pas algérien.

Le point de vue est celui de Reda majoritairement. Comment avez-vous construit ce personnage ? Est-il fou ? Le roman faisait, semble-t-il, intervenir un psychiatre.

J’ai gommé le psychiatre parce que dans le livre la situation est un peu trop expliquée. J’ai voulu donner des éléments pour comprendre l’environnement dans lequel le personnage évolue, comment on vit dans ce milieu où  il est aliéné ; il ne prend pas en charge sa vie. J’avais tourné des séquences avec une  psychiatre, une femme, qui n’ont pas été montées : je les trouvais inutiles.

Quels ont été vos partis pris pour le filmer et filmer son regard ?
On voitle monde, sa personne, à travers lui. Beaucoup de gros plans pour faire ressentir, ses angoisses, ses luttes. C’est un personnage très fragile. On ne le quitte pas un seul instant.

C’est Sammy Lechea qui l’incarne. Comment l’avez-vous trouvé et comment avez-vous travaillé avec lui ?
J’ai rencontré Sammy à travers des castings que nous avions organisés. C’était presque un coup de cœur. Il venait de jouer dans une série et je l’avais vu aussi dans un court métrage. On a fait des essais et je lui ai proposé de venir à Alger pour prendre la température. Il ne connaissait pas le milieu bourgeois algérois dans lequel Réda pourrait évoluer même si le personnage  ne fréquente pas les galeries, ne va pas au cinéma. Il est isolé du point de vue social et il se retrouve, par la volonté de son père, embarqué dans la plus grosse entreprise du pays.

Reda est souvent dans l’ombre : comment avez-vous travaillé avec votre chef opérateur  Kristy Baboul ?
Cela a été un choix de travailler sur un clair obscur. On est dans des endroits assez contrastés. C’est un film noir : il y a du noir dans l’image. Le seul moment où on a un peu de lumière c’est cette parenthèse qui aurait pu être enchantée : la rencontre avec Malika.

Son rapport au père est complexe : obéissance, peur, admiration. Y a-t-il une part autobiographique ?
Pas du tout.Mon père n’est pas autoritaire, presque l’inverse ! [rires]. Mais j’ai rencontré dans mon entourage beaucoup de gens qui peuvent se reconnaitre. Samir Toumi est un ami et je pense qu’il y a dans son livre une part autobiographique. Cela représente une génération où une des valeurs était l’autoritarisme. Il fallait être un homme fort. Certains ont des difficultés avec leurs enfants, ont du mal à comprendre que ce n’est pas la même époque.

Il y a dans ce film un panel de figures de jeunes algériens. Est-ce une sorte de radioscopie de la jeunesse algérienne actuelle ? L’effacement de Reda est-il celui de toute une génération ?
Un film ne peut pas être représentatif d’une société. Ce serait réducteur de penser qu’on peut en embrasser tous les phénomènes. Est-ce que cette jeunesse algérienne est effacée ? Non, pas du tout. A deux reprises, je parle des manifestations en 2019 où les jeunes revendiquaient leurs droits à prendre part à la vie politique sociale économique du pays. Peut-être celle de ma génération s’est-elle effacée un temps, mais pas celle d’aujourd’hui. Ce qui s’efface, c’est l’ancienne génération et les désirs et espoirs révolutionnaires etaltermondialistes qu’elle a portés. Elle est remplacée à la tête des entreprises par d’autres pouvoirs. Pour la jeunesse qui veut s’ouvrir au monde, voyager, les aspirations ne sont plus les mêmes. Il y a une sorte d’entrechoc entre deux générations. Le drame de Reda c’est qu’il n’a jamais appris à se connaître, parce qu’il a toujours vécu dans et par le regard de son père qui représente un temps révolu mais ne veut pas lâcher prise. Reda a ignoré les luttes de 2019, trop refermé sur lui-même.

Parmi les jeunes, le seul personnage qui ne s’efface jamais, c’est Malika, la quadra divorcée qui a pris sa vie en main.
Oui, j’admire plus Malika que Reda [rires]. Elle se bat dans un milieu très masculin, très patriarcal. Elle se dispute avec Reda quand il veut la défendre avec ses poings. Lui ne connaît que le rapport de force et la  violence pour régler les problèmes. Elle, elle sait s’affirmer sans ça. En Algérie, les femmes réussissent mieux leurs études universitaires que les hommes mais des personnes comme Malika qui choisissent de vivre seules et libres, il n’y en a pas énormément. Pour moi, elle est un modèle non seulement pour les autres femmes mais aussi pour les hommes. La victime du patriarcat ici c’est Reda et pas elle.

A l’opposé, la fiancée désignée par le père pour Reda représente un autre type de femme ?
Oui ! J’ai voulu parler, sans généraliser bien sûr, d’une certaine classe bourgeoise au pouvoir qui critique le pays alors qu’elle aurait les moyens de partir si elle le désirait.

L’effacement est un motif fantastique classique mais votre film est aussi un film noir, social, sentimental, familial…
Ce que j’aime au cinéma c’est être perdu, de pouvoir reconstituer les choses par moi-même ; Et le mélange des genres y contribue. Dans mon précédent film, En attendant les hirondelles, j’avais introduit de la danse.

On entend par deux fois le même prélude de Chopin. Pourquoi ce choix ?
Par hasard. J’avais demandé à Djalila Kadi-Hanifi, qui interprète la mère de Reda et joue du piano, de choisir un morceau classique. Elle a joué ça. Et j’ai trouvé que ça exprimait parfaitement à la profonde tristesse de mon personnage au point d’avoir eu envie de le réécouter à la fin du film.

Comment avez-vous collaboré avec Florencia di Concilio pour la BO ?
On est d’abord partis dans tous les sens. Hésitant entre une BO « chargée » ou plus minimaliste. Florencia a travaillé en ayant vu un premier montage du film et elle a composé une mélodie pour violoncelle qui colle au parcours de Reda.

Vous avez tourné le film à Marseille et en Tunisie. Pourquoi pas en Algérie ?
Pour des raisons économiques, entre autres. Le film n’a pas eu le financement du ministère de la Culture algérien et j’ai trouvé dans le secteur de la Joliette, le quartier d’affaires que je cherchais. Pour la Tunisie, il était plus facile là-bas d’obtenir des autorisations pour le tournage des scènes militaires.

Le film est-il sorti en Algérie ?
Non. Il n’y a pas beaucoup de distributeurs en Algérie. Et on distribue surtout des films d’action américains mais j’ai espoir qu’il sera retenu aux Rencontres cinématographiques de Bejaia en septembre et pourra y être vu.

PROPOS RECUEILLIS PAR ELISE PADOVANI ET ANNIE GAVA

Lire ICI (« L’Effacement », jeux de miroirs)  la critique de L’Effacement

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