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Des paillettes sur de l’horreur 

Au Musée Estrine, Eros dans l’arène de Picasso est une traversée dérangeante où la figure du génie efface celle de l’homme violent

Des murs fuchsia et jaune. Des couleurs éclatantes comme pour dissimuler le malaise. Dès les premiers pas dans l’exposition Eros dans l’arène de Picasso, la dissonance est palpable. Le cœur s’alourdit à mesure que le regard se pose sur les explications. Car l’exposition, si elle se veut un hommage à l’héritage culturel de la corrida, se transforme peu à peu en un face-à-face avec la violence d’un artiste élevé au rang de mythe : Pablo Picasso.

Objets traditionnels – capes de matador, affiches de corrida, éventail en bois – cohabitent avec des œuvres dérangeantes du maître espagnol : huiles, lithographies, croquis. On croit, d’abord, plonger dans le patrimoine local. Mais la thématique se transforme rapidement en une représentation des rapports de pouvoir, de violence symbolique, voire sexuelle, entre les genres. Chaque pas dans cette scénographie devient un pas de trop, jusqu’à l’overdose.

Admiration masculine comme norme

« Le sujet de l’exposition est audacieux », affirme la commissaire lors du discours d’ouverture du vernissage, rappelant que ce sont « quatre femmes féministes » qui ont conçu le parcours. Pourtant, la volonté de distanciation se heurte à un mur : celui de l’impunité artistique. Le visiteur est invité à contempler des scènes érotiques où le taureau — symbole masculin chez Picasso — domine quasi systématiquement. La femme est muse soumise, comme dans A los toros avec Picasso où elle est nu face à un torero habillé. 

Le discours de présentation sur le site du musée cherche à rassurer : « les femmes s’y montrent puissantes, compatissantes ou dominatrices ». Mais les œuvres disent tout autre chose. L’admiration pour la force virile, la domination de la femme, l’adoration de la brutalité masculine forment une narration stéréotypée et violente. Les œuvres exposées, bien que témoins d’une époque, ne sont jamais déconstruites. Elles sont sacralisées. 

Le monstre au musée

Le musée tente de dissocier l’homme de l’artiste. Mais Picasso lui-même proclame : « ce sont des mémoires qu’on s’écrit à soi-même ». Fernande Olivier, sa compagne à partir de 1905, raconte qu’il l’enfermait à clé dans son atelier quand il s’en allait. La photographe Dora Maar, sa compagne dans les années 1930, était battue jusqu’à perdre connaissance. Son épouse, Olga Khokhlova, s’est retrouvée plusieurs fois traînée par les cheveux chez eux. Les violences conjugales qu’il a fait subir sont établies, et ces violences irriguent directement sa production artistique.

Là où force masculine rime avec séduction, les pouvoirs de domination sexiste persistent. Dans Minotaure regardant une femme endormie, le minotaure, figure masculine et bestiale, est accroupie sur une femme et a son visage penché sur le sien. Endormie, la femme est en position de vulnérabilité. Les métaphores animales ne camouflent pas la brutalité : elles la traduisent.

Un seul tableau semble offrir une respiration : celui d’une torera signée J.G Domergue. Geste de dérision ou tentative de rééquilibrage ? Difficile à dire. Mais il vient, comme un murmure tardif, rappeler que d’autres récits sont possibles. 

MANON BRUNEL

Exposition donnée au Musée Estrine, à Saint-Rémy-de-Provence.

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