A l’origine du film, le projet autobiographique de Hark Bohm, scénariste, réalisateur, acteur, hambourgeois, qui, né en 1939, a grandi sur l’île allemande d’Amrum, en Mer du Nord. Un projet contrarié par des ennuis de santé et repris par Fathi Akin, né à Hambourg dans une famille d’immigrés turcs. Le réalisateur de Head-On et In the Fade, y retrouve matière à explorer des thèmes qui lui sont chers : l’exil, la quête d’identité, les tensions entre histoire personnelle et Histoire collective, incarnés par un personnage dont on épouse le regard.
Ici ce sera Nanning (Jasper Billerbeck) un pré-ado de douze ans. Fils d’un dignitaire nazi resté sur le continent pour défendre jusqu’au bout, l’Allemagne d’Hitler. On est au printemps, quelques jours avant le suicide du führer et la capitulation de l’Allemagne. Après la destruction d’une partie de sa ville de Hambourg, Nanning arrive dans l’île de ses ancêtres baleiniers : Amrum. Sa famille y possède une maison. Moby Dick reste sur les étagères de la bibliothèque au milieu des parutions théoriques du père sur la suprématie arienne. Sur l’île, qui a connu un exode économique vers les USA avant-guerre, on se débrouille : troc, cueillette, chasse et pêche. Nanning, en tant qu’aîné, grapille un peu de lait pour sa famille en aidant aux champs, désertés par les hommes mobilisés. L’île balayée par vents et marées pourrait être le lieu idyllique d’une enfance. Mais il y flotte encore les croix gammées, les escadrilles de chasseurs bombardiers se substituent à celles des oiseaux migrateurs. Des cadavres arrivent sur les plages. Et, Nanning se trouve au cœur de conflits ouverts ou larvés. Entre une mère acquise âme et ventre (elle a déjà trois enfants et en attend un quatrième) à l’idéologie nazie et une tante hostile au régime. Entre son appartenance aux jeunesses hitlériennes et son amitié buissonnière avec un enfant du coin. Entre pro-nazis et opposants de moins en moins silencieux. Nanning, le continental conspué par les insulaires xénophobes ou revanchards, qui se sentent « envahis » par de nouveaux réfugiés affamés venus de Silésie. L’enfant est tiraillé entre l’amour qu’il porte à ses parents et la révélation de leur monstruosité, mise en évidence par un secret de famille douloureux.
Innocence perdue
Un parcours initiatique que le cinéaste décrit dans un quotidien austère et hostile, sans idéalisation, impliquant l’enfant dans la cruauté et la crudité du monde, du dépeçage d’un lapin à la mise à mort d’un phoque. Un apprentissage qui ôte toute innocence au héros, le blesse en lui donnant à affronter l’indifférence de sa mère aux sacrifices qu’il a consentis pour lui fournir la tartine de pain blanc tartinée de beurre et de miel dont elle rêvait. Et, comme épreuve ultime, lui fait ressentir la honte des Vaincus.
La bande son se fait discrète. Filtrés par le point de vue de Nanning, les personnages secondaires s’estompent gardant leurs vérités.
L’île, éminemment symbolique, offre, en lumière froide, ses horizontalités d’eaux, de sables et de champs, écrasées par un ciel qui pèse de plus en plus comme un couvercle. Belle et dangereuse, filmée en plans larges, avec ses marées traîtresses, ses terres mouvantes.
Le film déroule le récit en une chronique lente, dans une mise en scène qui manque un peu des reliefs auxquels le cinéma de Fathi Akin nous avait habitués.
ELISE PADOVANI
Une enfance allemande-île d’Amrum, 1945 sera en salles le 24 décembre