Avec la jeune troupe de La Criée, Mathilde Aurier revient sur le drame des effondrements à Marseille du 5 novembre 2018. Du théâtre documenté et puissant
Il y avait comme un air de catharsis générale dans la salle de l’Astronef, où était données les trois premières représentations la pièce 65 rue d’Aubagne du 15 au 17 octobre. Le public a vu défiler devant lui cet épisode de l’histoire marseillaise, que l’on n’avait peut-être jamais ressenti d’aussi près, aussi intensément, aussi personnellement.
Pourtant, la jeune metteuse en scène Mathilde Aurier n’était pas présente à Marseille ce 5 novembre 2018. C’est deux ans plus tard, au hasard d’une journée à la plage, qu’elle rencontre Nina, une survivante du 65, et découvre le récit d’une personne dont l’existence a été profondément marquée par cet effondrement.
C’est cette Nina, personne réelle devenue personnage de fiction, que l’on suit à travers 65 rue d’Aubagne. Elle est seule dans son lit, dans un décor austère, puis entourée du monde qu’elle ne veut plus comprendre. Nina n’était pas chez elle ce matin-là, « par accident » dit-elle. Mais beaucoup de ses voisins oui, dont la jeune italienne Chiara, omniprésente pendant toute la durée du récit, en miroir du destin miraculé de Nina : « Chiara, elle dormait. Comme moi. »
Mathilde Aurier a construit son récit en interrogeant Nina, mais aussi des proches de victimes, des membres du Collectif du 5 novembre, des habitant·es de Noailles, des associations. Du théâtre documenté qui donne à son récit l’effroi du réel, la pudeur de la fiction.
Le tragique et le documentaire
Nina est une jeune femme perdue, merveilleusement interprétée par Camille Dordoigne. Si elle n’était pas présente physiquement ce matin-là, c’est tout son être qui s’est effondré le 5 novembre, elle qui garde « un goût de cendre coincé entre les dents ». Son couple y passe, la cocaïne s’infiltre dans toutes ses cicatrices, elle pète les plombs quand il n’y a plus de beurre salé au supermarché…
Autour d’elle il y a aussi, complice, le gérant de l’alim’ en bas de chez elle ; les employés de mairie grossièrement incapables ; les propriétaires qui se défaussent ; les pompiers ; d’autres délogés ; et même Jean-Claude Gaudin, représenté sous la forme d’un crocodile.
Les scènes passent dans une construction narrative non chronologique, qui va de la rencontre avec son copain quelques semaines avant les effondrements, jusqu’à la crise des délogés. Le récit prend le soin d’intégrer Chiara qui donne chair à toutes les victimes de l’immeuble, et dont le chant s’élèvera au delà du fracas des éboulements.
Des moments prêtent à rire aussi, quand elle essaie de se désabonner de ses différents forfaits d’électricité ou internet : « il n’y a pas de case “effondrement”, je mets “attentat” ? », lui répond-on.
En 1h40 divisée en quatre parties, Mathilde Aurier et la jeune troupe de La Criée dessinent un tableau puissant du drame marseillais, avec justesse, sévérité, et émotion. Une pièce dense, concrète, les deux pieds dans les gravats, qui sait relier le politique et l’intime, le tragique et le documentaire.
NICOLAS SANTUCCI
65 rue d’Aubagne a été donné du 15 au 17 octobre au Théâtre de l’Astronef, Marseille.
À venir
14 au 18 janvier
La Criée, Marseille