Dans Le Parlement de l’eau, Wendy Delorme invite les entités aquatiques qui habitent le monde à esquisser un futur à la fois désirable et habitable
Wendy Delorme est une romancière prolifique et politique. Après Le Chant de la rivière (Éditions Cambourakis, 2024), où elle faisait du cours d’eau un personnage, voici son septième roman, dans lequel elle convoque à présent les voix de Mer, Océan, Delta, Fleuve, Lagune, Pluie, Glacier… développant trois fils narratifs qu’elle tisse avec beaucoup d’habileté.
« Esprit », double de l’autrice, est très inquiète : domestication, exploitation et destruction du vivant, contrôle des corps – femmes, personnes trans, personnes migrantes – gaspillage des ressources, artificialisation des cours d’eau… Autant de sujets qui la hantent. En suivant le fil de ses réflexions et de ses recherches, on mesure à quel point l’humain, espèce désespérément paradoxale et autocentrée, demeure incapable de comprendre que la destruction des écosystèmes entraînera sa propre perte. S’installent alors l’abattement et une véritable éco-anxiété. Et contre le déni et le cynisme, sa lutte à elle prend la forme d’un acte d’écriture.
Que peut la littérature ?
Chez Wendy Delorme, écrire est un acte de survie – un geste politique aussi nécessaire que respirer. S’interrogeant sans cesse pour savoir si cette pulsion est une illusion ou une action concrète sur le terrain de la bataille culturelle, elle livre un roman foisonnant de références, de ressources scientifiques, de possibles… pour sauver le cycle de l’eau et dessiner un avenir désirable. Les entités aquatiques, infiniment bavardes et créatives, qu’elle entend en pensée et qui se glissent dans ses rêves, se mobilisent pour composer ensemble un récit « d’anticipation sur des humain·es qui s’organisent pour survivre à un État fasciste et écocidaire ».
En 2050, dans une communauté autogérée installée sur le bassin versant du Rhône, cohabitent une adolescente qui veut casser le béton, un frère qui cartographie sans relâche à la recherche d’une source perdue, un couple de réfugié·es qui sait cultiver la pluie, une éco-activiste qui protège des semences anciennes et d’autres personnages combattifs en quête de sédition. Des personnages attachants qui survivent dans une société sous surveillance où l’eau est devenue une ressource rare.
Et si cela résonne en nous, c’est peut-être parce que ce monde se tient à nos portes. Le passé, le présent et le futur se mélangent et c’est là toute la force du texte : nous faire naviguer entre prises de conscience, désillusions, espoir et envies d’agir… dans le sillage de la pensée de l’autrice. Les deux pieds solidement ancrés dans le réel, elle se jette à corps perdu et avec une grande justesse émotionnelle et littéraire dans les combats politiques résolument contemporains qui lui sont chers – éco-féminisme, décolonisation, fluidité des genres et des identités. Dépassant le stade du simple constat et de la moralisation stérile, elle nous invite à sortir de la passivité pour embrasser l’action collective. Et si les eaux, dans le roman, ont la tentation de submerger le monde, la romancière, elle, en appelle aux lecteur·rices pour faire éclore une révolution.
ÉLODIE MOLLÉ
Le Parlement de l’eau, de Wendy Delorme
Éditions Cambourakis - 23,50 €