Stéphane Ravier, sénateur RN ex-dissident Zemmour se réjouit que la justice ait rapidement tranché en son sens : Sacré-Cœur ne peut être impunément déprogrammé. Le réalisateur Steven Gunnell, ancien membre d’un boys band converti, après avoir sombré dans l’alcool, au culte de l’organe cardiaque du Christ, ne cache pas, dans son film promotionnel, qu’il a produit le « docu-fiction » « pour la gloire de Dieu » et pour « annoncer le Royaume du Seigneur ». Mais toute déprogrammation d’une œuvre artistique est une censure.
C’est un fait : la liberté artistique, la liberté de créer, passe par là, et à partir du moment où une œuvre ne contrevient pas à l’ordre public, n’incite pas à la violence et à la haine et ne diffame personne, sa programmation peut être contestée, raillée, critiquée, dénoncée dans la presse et dans l’espace public, mais non empêchée ou annulée. Même dans un équipement public astreint à la laïcité.
Le prosélytisme chrétien, plus spécifiquement catholique version radicale, a donc droit d’écran et de financement public, même lorsqu’il a pour but avoué par son réalisateur d’«éveiller ceux qui se sont endormis dans une foi un peu tiédasse et mollassonne». La RATP a le droit de ne pas accepter sa campagne de pub, mais pas une ville de déprogrammer le film.
Pas très catholique
Steven Gunnell a proclamé dans son clip de promotion : « moi, Steven Gunnell, jusqu’à ma mort, je ferai des films qui annoncent l’amour du Christ, et j’appelle le public chrétien à ne pas hésiter et à faire connaître Sacré-Coeur ». En effet « les experts et historiens »y « montrent, par la chair des témoignages, jusqu’où le Seigneur nous aime ». On est heureux d’apprendre que l’existence de Dieu a enfin été prouvée scientifiquement, mais on n’ose imaginer ce que dirait la fachosphère si Christ et Seigneur étaient remplacés par Yahvé et Elohim, ou mieux encore Mahomet et Allah.
Car la France selon Ravier a « des racines chrétiennes ». Personne ne lui rappelle que le dernier Président qui revendiqué cette histoire exclusive dort aujourd’hui en prison. Mais ceux qui contestent la justice quand Marine Le Pen ou Sarkozy sont condamnés, n’hésitent pas à faire appel à la loi pour promouvoir ces fameuses racines chrétiennes. Y compris dans une ville fondée par un métèque de Phocée accueilli par une princesse ligure pas très catholique près de 600 ans avant que le Christ eut un cœur sacré.
Revendiquer des racines chrétiennes, c’est aussi oublier à quel prix le royaume de France, avant de devenir une nation, s’est construit. C’est par des guerres et persécutions incessantes, des conversions forcées, envers les cathares, les protestants, les juifs, les mahométans, les gaulois animistes, les bouddhistes vietnamiens. Ce culte si français du Sacré Cœur a été mis en place sous Louis XV, et les Vendéens contre révolutionnaires l’arboraient comme emblème de la France éternelle : celle de la monarchie absolue de droit divin, avec loi salique, Tiers-Etat, sang de bourbe et servage. Celle qui resurgit aujourd’hui pour lutter contre « l’halalisation » de la société, comme le soutenait le « journaliste » Jordan Florentin sur CNews.
Production, programmation, propagande
Mais déprogrammer un film est un acte de censure. Peu importe que ce « docu-fiction » à la musique ridicule qui mêle témoignages ébahis et reconstitutions historiques de carton pâte ait été produit par Bolloré, et soutenu dans sa presse comme un grand film alors qu’il sent le navet presque autant que l’encens.
Et peu importe que ce film ait été mis à l’affiche à Marseille par Valérie Fedele, ancienne élue UMP, directrice « générale et artistique » du Château de la Buzine depuis 2013. Peu importe qu’elle ait été qualifiée par Eliane Zayan, alors adjointe au cinéma de Jean-Claude Gaudin, de personne « incompétente à ce poste ». Elle expliquait elle-même en 2013 : « ce n’est pas pour mes qualités culturelles ou artistiques mais managériales que j’ai été recrutée ». Peut-être, aussi, pour ses convictions politiques ? Elle s’est aussi distinguée, dès 2016, en invitant Eric Zemmour dans l’équipement de la ville.
Il y a peu de chances qu’elle soit à l’origine des Rencontres cinématographiques consacrées aux diasporas de Marseille. La Buzine et l’Alcazar accueillent, à partir du 4 novembre, des films qui mettent en scène des Roumains, des Espagnols, des Lettoniens, des Afghans, des Algériens… qui forment aujourd’hui sinon les racines du moins le terreau de la ville. Halalisée pour partie, comme on parfume un délicieux gigot de cinq épices. Sans navet.
AGNES FRESCHEL
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