« Ceci est l’histoire d’un homme, marqué par une image d’enfance. » Cette phrase ouvre le film mythique de Chris Marker, La Jetée. Des écrans dans une salle de montage qu’on découvre en un plan séquence, sont les premières images du dernier film de Dominique Cabrera. Un lieu où la réalisatrice va « inviter » hommes et femmes pour qui La Jetée, plus particulièrement le 5éme plan, fait surgir des souvenirs, des images, des questions. Des gens qui ont connu Chris Marker, des collaborateurs, des amis de celui qui n’aimait pas être photographié et qui a fait tout un film avec des photographies, celui qu’on surnommait « l’ombre ». Mais aussi des proches de Dominique Cabrera, puisque tout a commencé par une découverte. Son cousin, Jean –Henri, voyant le film à la Cinémathèque Française, croit se reconnaitre avec ses parents dans le 5e plan de La Jetée : une photo avec un homme en costume, une femme en manteau et un petit garçon aux oreilles décollées ; tous trois de dos sur une terrasse d’Orly. Le petit garçon, ce serait lui. Un visage anonyme inscrit dans un chef d’œuvre, est –ce comme être dans un vitrail à Notre Dame, ou sur une frise du Parthénon, s’interroge Dominique. Cette découverte va donner naissance au film : un film enquête et aussi un film très personnel, autobiographique qui le rapproche de ses films antérieurs Demain et encore demain ou Grandir dont on voit quelques images. Et aussi de son film précédent sur le cinéma, Bonjour Monsieur Comolli (https://journalzebuline.fr/une-journee-avec-dominique-cabrera/)°)
C’est donc à une véritable exploration que se livre la cinéaste, fouillant avec patience et passion : témoignages sur le travail de Chris Marker , celui qui aimait les chouettes et les chats, carnets de notes où l’on découvre que c’est le 23 septembre 1962 qu’a débuté le photo-roman, appareils photo argentiques dont le « Pentax » qu’utilisait Marker. Dans une séquence assez drôle, l’oncle Paul fait le calcul des probabilités pour que la famille de Jean – Henri se soit trouvée là, à Orly, au moment où Marker prenait ses photos. 1 chance sur 4520 ! L’aéroport d’Orly, c’est là où la famille Cabrera a débarqué et où elle se promenait tous les dimanches pour voir arriver les pieds-noirs venus comme elle d’Algérie en 1962. La mère de la cinéaste, Monique, ne reconnait personne sur la photo mais est au bord des larmes en regardant l’album où elle revoit son défunt mari dont elle évoque le petit studio de photos qu’il avait monté là-bas. L’histoire familiale rejoint l’Histoire, évoquée par Chris Marker dans Le joli Mai dont la cinéaste nous montre quelques séquences. Autre coïncidence : n’y a -t-il pas une ressemblance entre Jean –Henri et Davos Hanich, le peintre et sculpteur qui interprète le rôle principal de La Jetée, né à Saint Denis du Sig dans la même région que toute la famille… Tout cela donne le vertige. Vertigo le film qui a inspiré Sans Soleil comme l’a précisé Marker. Et Dominique de conclure : « Tu as inscrit notre famille dans le vortex de ton film » Conclusion d’une enquête passionnante qui nous a fait voyager dans le temps, l’espace et le cinéma.
Annie Gava
Le 5e plan de La Jetée sort en salles le 5 novembre 2025
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