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Série Noire : quand les femmes sortent de l’ombre

La mythique collection Gallimard, peuplée de bouquins écrits par et pour des hommes, a pu prospérer grâce au travail invisible des femmes. Un livre leur rend hommage

La mythique collection Gallimard, peuplée de bouquins écrits par et pour des hommes, a pu prospérer grâce au travail invisible des femmes. Un livre leur rend hommage

Natacha Levet enseignante-chercheuse à l’université de Limoges, spécialiste du roman noir français et Benoît Tadié, professeur de littérature américaine à l’université Paris-Nanterre nous embarquent dans l’histoire fascinante de la mythique Série Noire, mais vu sous l’angle des femmes, ans lesquelles ce « club de bonshommes » comme ils l’ont baptisé n’aurait jamais pu prospérer.

L’histoire a pourtant commencé avec une femme. En 1945, Germaine Gibard – dessinatrice et future épouse de Marcel Duhamel, fondateur de la collection – crée la maquette iconique : couverture noire à liseré blanc rappelant un faire-part de deuil inversé, lettrage jaune sobre : son design révolutionnaire rompt avec l’édition populaire.

La collection va cependant bâtir sa réputation sur un catalogue d’auteurs hommes hard-boiled « purs et durs » des années 1930 : Peter Cheyney, James Hadley Chase, Horace McCoy, Jonathan Latimer. Dans les années 1950, la maison traduit massivement Gold Medal, Lion Books, Ace Books. Mais alors que les États-Unis s’ouvrent aux textes féminins, l’orientation virile de la Série noire persiste. Dolores Hitchens, auteure de 48 romans outre atlantique, n’en voit que cinq traduits, Elisabeth Sanxay Holding (18 romans) deux. Dorothy B. Hughes, Margaret Millar, Craig Rice : un seul titre chacune. Pour les femmes, l’effet « série » ne joue pas. Pire, Marcel Duhamel refuse en 1957, trois titres de Vin Packer (Marijane Meaker), autrice proche de Patricia Highsmith et pionnière du roman criminel gay. Et il faudra attendre 1971 pour qu’une française soit publiée. Ce sera Janine Boisard, sous le pseudonyme masculin J. Oriano.

Les femmes en soute

Paradoxalement, la Série noire doit son existence à un réseau féminin invisible. Les agentes comme Jenny Bradley – elle qui représente James M. Cain et Raymond Chandler –, Marguerite Scialtiel, Denyse Clairouin, Marie-Louise Bataille, prospectent dans l’ombre, dénichent, négocient et jouent un rôle essentiel dans le développement de la collection même si leurs noms n’apparaissent jamais.

Les collaboratrices sont nombreuses et pas de « simples » secrétaires. Elles lisent les manuscrits anglais, traduisent, corrigent, « rewritent » en insufflant dans les textes l’argot parisien qui fait la marque de fabrique de la série. Janine Hérisson traduit près de 100 volumes. France-Marie Watkins 103. Sur 1400 œuvres traduites entre 1945 et 1977, 623 le sont par des femmes (44,5 %).

Traductrices…

Au grès des pages on découvre Jeanne Witta, script-girl blacklistée pour son syndicalisme et dont l’anglais approximatif, appris sur les plateaux, ne l’empêche pas d’être la plume française de James Hadley Chase. Jane Fillion, qui durant des années, traduira un volume tous les deux mois jusqu’en 1982 ou encore Janine Hérisson, présente dès l’origine qui signera sa dernière traduction à 82 ans. Michelle Vian, quant à elle cosignera avec Boris La dame du lac de Chandler (1948). Elle révèlera en 2011 avoir joué un rôle plus important que supposé, Boris n’étant pas le traducteur dominant.

… Et autrices.

Entre 1945 et 1977, sous la direction de Marcel Duhamel, la Série noire va publier 1722 romans. Seuls 42 sont écrits par des autrices – 26 au total –, soit 2,5 % de la production. Celles-ci, avec leurs mots, et leurs regards sur le monde déconstruisent les codes du polar masculin. Elles introduisent « du trouble dans le genre » : détectives à la virilité blessée, femmes fatales humanisées. Elles brouillent les frontières entre hard-boiled masculin et suspense psychologique féminin. Leigh Brackett écrit des détectives privés chandlériens, Dorothy B. Hughes des tueurs psychopathes, Marty Holland et Gertrude Walker (première publiée en 1950) des vagabonds basculant dans le crime.

Après Marcel Duhamel (1945-1977), Robert Soulat, Patrick Raynal, François Guérif et Aurélien Masson, une femme, Stéfanie Delestré dirige la collection depuis 2017. Enfin.

ANNE-MARIE THOMAZEAU

Les femmes de la Série noire, de Natacha Levet et Benoît Tadié
Gallimard – 19€

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