Converser, la première table ronde des Nouvelles rencontres, s’annonçait passionnante, promettant de placer la réflexion politique au cœur de la langue, grâce à la présence de Pierre Chiron, helléniste rhétoricien qui sait que la démocratie naît de l’art d’argumenter, de Lætitia Bucaille spécialiste de Gaza et de l’Afrique du Sud et de Gloria Origgi, épistémologue de la rumeur qui a analysé les processus langagiers de Giorgia Meloni.
Pourtant les questions posées par Jean-Christophe Ploquin, rédacteur en chef de La Croix, ont longtemps ramené ces intellectuels à de l’anecdotique. C’est en les contournant que Laetitia Bucaille a pu analyser l’importance des paroles prononcées par les Sud-Africains, y compris par les bourreaux, après l’Apartheid, paroles qui ont permis à Mandela d’éviter le bain de sang qui menaçait. Elle pense aussi, peut-être, que la libération de Marwan Barghouti des prisons israéliennes pourrait rappeler celle de Mandela ?
Et Gloria Origgi d’expliquer que les conflits pouvaient être exacerbés par une conversation, qui nécessite, pour être efficace, la pratique sincère du doute. Et de la dialectique, précisait le rhétoricien, qui permet d’instaurer le droit contre la force, et donc la naissance de,la citoyenneté.
Éloge de la traduction
Chloé Camberling a quant à elle animé le Grand entretien avec le grand Souleymane Bachir Diagne avec un art de la médiation fait de la connaissance de son parcours, d’une admiration visible et d’un vrai talent pédagogique. Elle a permis de rendre la pensée du philosophe limpide sans en gommer la brillance. D’approcher la notion essentielle de pluriversalisme, un universalisme qui ne serait plus celui des colonisateurs venus civiliser les peuples inférieurs, mais celui d’une diversité des cultures qui dialoguent et, avant tout, traduisent. D’une égalité des langues, d’une pluralité qui enrichit, du cosmopolitisme. De l’éloge de Saint Louis, sa ville natale du Sénégal, née d’un comptoir français cohabitant avec un village africain et une immigration marocaine.
Quant au racisme, le philosophe l’a subi partout : seul Noir sur la photo de classe de Louis-le-Grand, accueilli en héros par Senghor quand il a réussi Normale Sup, c’est pourtant aux États-Unis qu’il s’est senti physiquement menacé. Enseignant à Columbia, il est aujourd’hui encore en première ligne des offensives de l’administration Trump contre l’Université.
Mais il reste persuadé, comme Mandela, qu’il faut rechercher l’Ubuntu. La réconciliation, la solidarité, l’humanité commune, non en gommant les différences, mais en les faisant dialoguer, et en les traduisant.
Agnès Freschel
Les Nouvelles Rencontres d’Averroes se sont déroulées au théâtre de la Criée et à l’Espace Julien du 20 au 23 novembre
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