C’est un festival à bout de nerf. Pas un jour sans qu’une nouvelle information ne vienne rebattre les cartes sur la tenue de sa prochaine édition. Libération, dans un article du 19 novembre, l’affirme : « Le festival 2026 n’aura pas lieu ». Dans la foulée, ou dans le déni, le festival dément. Puis c’est au tour du maire d’Angoulême, Xavier Bonnefont, accompagné d’autres collectivités, d’appeler à son annulation : « Il nous apparaît plus que compliqué d’organiser le maintien de l’édition 2026 ». Un impasse provoquée par la reconduction de la société 9eArt+ à la tête du festival.
En février 2025 déjà, le festival s’était terminé en eau de boudin. Un vent de révolte avait soufflé sur la remise des prix, où presque tous les primés avaient dénoncé le comportement de cette société organisatrice, et de son directeur-fondateur Franck Bondoux. La raison : la publication d’un article dans L’Humanité quelques semaines plus tôt, qui levait le voile sur la direction mercantile du rendez-vous, son opacité financière, et surtout, la gestion inique d’un cas de viol dénoncé par une de ses salariés.
Assez pour faire table rase du passé et relancer le Festival d’Angoulême sur de nouveaux rails ? C’est ce que beaucoup espéraient. Dès le printemps, une pétition d’appel au boycott des auteurs·ices avait réuni plus de 2500 signatures, dont celle d’Anouck Ricard, Grand Prix 2025. Pas suffisant pour l’association du Festival d’Angoulême, qui avait reconduit la société 9eArt+ pour les dix prochaines éditions. Plusieurs appels au boycott et prises de positions politiques plus tard, la situation semble de plus en plus compromise pour l’édition 2026, et peut-être au-delà.
« Chloé on te croit »
Ce n’est pourtant pas la première polémique qui touche Festival d’Angoulême version 9eArt+. En 2016, le rendez-vous affichait une liste de 30 noms composée uniquement d’hommes pour son Grand Prix… Quelques années plus tard, il offrait une grande exposition au dessinateur Bastien Vivès, accusé de faire l’éloge de la pédopornographie. Mais l’article de Lucie Servin, paru le 24 janvier 2025 dans L’Humanité, avait fini de jeter le trouble sur la gestion toxique de ce festival.
L’article racontait l’histoire de Chloé*, salariée du festival en 2024, qui, soupçonnant avoir subi un viol chimique de la part d’un collègue, avait cherché de l’aide auprès de sa direction. En réponse, la DRH lui avait conseillé de prendre une pilule du lendemain, et un mois plus tard, Franck Bondoux l’avait convoquée pour la licencier pour faute lourde.
« Tout le monde dans le public n’avait pas lu l’article de L’Humanité, alors dans l’espace des éditeurs indépendants, des pancartes “Chloé on te croit” avait été accrochées sur les stands » se rappelle Camille Potte, autrice marseillaise et lauréate du Fauve de la révélation en 2025 à Angoulême.
Ces tensions qui animent les allées doivent trouver leur caisse de résonnance finale à la grande soirée de remise de prix. « Pendant la cérémonie, quasiment toutes les personnes lauréates se sont positionnées contre 9eArt+, contre Franck Bondoux et en soutien à Chloé », explique Camille Potte, elle aussi sur scène ce soir-là. Le Jury, présidé par le dessinateur Jul, avait également tenu à prendre la parole pour exprimer son trouble. Mais, surprise : pas de retransmission en direct de la cérémonie cette année-là…
Dérive mercantile
Outre l’effarement devant la gestion du viol présumé de Chloé, beaucoup d’auteurs·ices et de syndicats dénoncent la dérive mercantile du festival, qui a trouvé son point d’orgue dans le partenariat signé avec une enseigne de fast-food. Le logo est accolé à celui du festival, et dans les rues d’Angoulême, on pouvait voir Lucky Luke en train de manger des burgers…
Le Festival d’Angoulême, une machine à fric qui se goinfre, quand dans le même temps les auteurs·ices de BD connaissent une grande paupérisation ? « Le festival ne prend pas en compte que sans les auteurs·ices, il n’y a pas de festival. Iels ne sont pas du tout rémunéré·es, sinon des clopinettes pendant les rencontres avec le public », regrette Camille Potte.
Une édition annulée
Reste que l’annulation du festival 2026 aura des conséquences certaines pour les auteurs·ices. « Pour ceux qui ont des livres en sélection c’est dur. J’ai eu un prix l’année dernière, et je vois l’impact que ça peut avoir sur les ventes et sur le reste de ta carrière. On connaît ton nom, on t’appelle pour d’autres projets…»
Les maisons d’édition connaissent la précarité également : « C’est une situation difficile pour les éditeurs aussi. Je pense à des éditeurs ultra-marins qui avaient déjà réservé leurs billets d’avions, les locations… », poursuit l’autrice marseillaise.
Si l’édition 2026 est déjà dans l’impasse, c’est la survie du festival lui-même qui est en jeu. Les syndicats des auteurs préviennent : si le festival ne repart par sur « un nouveau projet […] les auteurs ne reviendront pas, même en 2027. »
NICOLAS SANTUCCI
*Son prénom avait été modifié au moment de l’article. Il s’agit d’Élise Bouché-Tran, ancienne responsable de la communication du Festival, qui a depuis pris la parole publiquement.
Retrouvez nos articles Politique culturelle ici










