On n’en revient pas lorsqu’à l’issue du concert, on jette un œil à sa montre. C’est pourtant bien une heure et demie qui s’est écoulée comme un souffle continu, sans jamais peser. Alors que la musique qualifiée de minimaliste ou encore de répétitive n’est pas réputée pour sa capacité à fasciner, elle possède pourtant le pouvoir de suspendre le temps, lorsqu’elle se voit interprétée avec un tel génie.
L’idée de mettre en regard ces deux compositeurs, souvent associés de loin par un certain dépouillement, mais rarement rapprochés avec une telle évidence, s’est révélée lumineuse. Plus cynique, plus dandy, Satie aime jouer avec les codes, les attentes, parfois même la provocation douce des titres absurdes. Un esprit dada avant l’heure, cousin lointain de Duchamp, ou peut-être plus proche de la vivacité d’un Cocteau. Pourtant, Vanessa Wagner n’en retient pas la dérision : elle en révèle la tendresse secrète, la ligne claire, une mélancolie de l’enfance tapie sous l’épure. Les Gnossiennes prennent sous ses doigts un balancement intime, une respiration souple : elles chantent, de même que sa célébrissime première Gymnopédie que l’on a l’impression d’entendre pour la première fois.
L’art de la filiation
Face à cela, Glass aurait pu paraître plus mécanique ou trop frontal. Il n’en est rien. Vanessa Wagner en tire une matière lumineuse, d’une transparence stupéfiante : les couches se superposent comme des voiles, les nuances s’y impriment avec une minutie extrême. De ces Études, qu’elle connaît intimement, la pianiste fait entendre le chant intérieur, la vibration nouvelle qui émerge sous l’infime variation. À force de revenir, les motifs se densifient, s’épaississent, se colorent. Les boucles deviennent obsédantes, mais jamais oppressantes : elles mûrissent, muent, se déplacent dans l’espace sonore.
En bis, avec Dead Things – thème de The Hours –, la pianiste rappelle combien Glass sait superposer les temporalités, comme le film de Stephen Daldry superposait les récits autour d’un même texte. Satie, lui aussi, ne faisait peut-être que cela : ouvrir des chemins parallèles. Différence et répétition ne sont, nous rappelait Deleuze, pas antagonistes, mais solidaires, liées par un même mouvement intérieur. De l’une à l’autre, Vanessa Wagner nous convie à un voyage musical qui, par son intelligence et sa douceur tenaces, réunit deux univers dans un même paysage.
SUZANNE CANESSA
Le concert a été joué le 30 novembre au foyer de l’Opéra de Marseille dans le cadre de la saison Marseille Concerts
Retrouvez nos articles Musiques ici






