On ne peut pas s’intéresser à tout ? À Salagon, on parie au contraire sur l’éclectisme de nos curiosités, et de notre soif d’émerveillement, d’apprentissage, d’approfondissement, de souvenir. Sur la coexistence d’un musée et des jardins, où se croisent les arts, les sciences et l’histoire, et la Haute-Provence chère à Giono.
Il faut dire que le prieuré médiéval, monument historique restauré dans les années 1980, son église du XIIe siècle et son logis du XVe, se sont érigés sur un site néolithique, puis une ville gallo-romaine et une basilique paléochrétienne, dont le site conserve les vestiges partiellement enfouis, mais documentés. Des millénaires d’histoire éclairés dans l’église par les vitraux monochromes d’Aurélie Nemours, animés lors de concerts réguliers, et soulignés actuellement par l’exposition des tableaux de Philippe Cognée [voir encadré].
Autour du Prieuré, les jardins. Six hectares remarquables, et labellisés à ce titre par l’État. Le jardin médiéval révèle ses magiques mandragores, ses plantes médicinales, aromatiques, aptes à teindre, nourrir, ornementer, toutes précieuses et vitales. Plus loin le jardin des senteurs se respire, la Noria expose ses fleurs, et le grand jardin des temps modernes fait voyager sur tous les continents, rappelant ce que notre agriculture globalisée, et notre cuisine jusque dans ses traditions (la tomate !), doivent aux nouveaux mondes. Le jardin des simples et celui des céréales rappellent la diversité des espèces, en danger, et les maisons à insectes l’interconnexion des règnes et des régions.
Ethnopôle
Une leçon de modestie et de relativisme, qui se poursuit dans le musée départemental, « ethnopôle » labellisé lui aussi par le ministère de la Culture. Deux expositions temporaires s’y tiennent actuellement jusqu’au 15 décembre, qui s’appuient sur nos mémoires et nos sens pour ouvrir sur le monde.
Les jouets retrouvés exposent des objets ludiques anciens retrouvés en Provence et qui ressemblent, pour la plupart, à tous ceux du monde. Le jouet, si ancré dans nos quotidiens qu’on en oublie qu’il a une histoire, révèle ses fonctions éducatives, ses spécificités musicales ou d’habileté, ses côtés collectifs ou solitaire, d’intérieur ou de plein air. S’il apprend à développer le corps, l’esprit et l’imaginaire, le jouet détermine aussi l’enfant dans son futur rôle social, manuel ou intellectuel, et participe grandement, aujourd’hui encore puisque les rayons continuent d’être genrés, au conditionnement de future maman des petites filles, avec taraiettes (provençales), poupées (blanches) et machines à coudre (universellement sexistes !).
Un parfum d’antan à la fois nostalgique et critique, que l’on retrouve également dans l’exposition sur L’olivier, notre arbre. Emblème de la Provence, de sa cuisine et de ses paysages, est-il vraiment notre arbre ? Le parcours muséal s’attache à décrire la récolte, la presse à froid, l’embouteillage, les produits dérivés, savons et tissus, et les usages contemporains, comme celui des noyaux recyclés en granulés de chauffage. Mais l’exposition décrit aussi les catastrophes humaines et climatiques que l’explosion mondiale de la demande d’huile d’olives génère : la France n’est qu’un tout petit producteur, artisanal et délicat, d’une huile d’olive familiale et traditionnelle, balayée par la production massive. En Espagne et au Portugal en particulier, les industries agro-alimentaires surexploitent et tuent les sols, en maltraitant une main d’œuvre immigrée, souvent africaine et illégale. Pressurée à chaud, comme les olives…
Provence universelle
« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », écrivait Térence deux siècles avant note ère, pas si loin de notre Provence. Au terme d’un trajet muséal, patrimonial et horticole, la question initiale s’éclaire : on peut s’intéresser à tout, pourvu que la démarche scientifique, l’accueil public, la médiation, soient soignés comme à Salagon. Un des sites les plus visités des Alpes-de-Haute-Provence !
AGNES FRESCHEL
Prieuré de Salagon
Musée et jardins
Mane, Alpes de Haute Provence
musee-de-salagon.com
Philippe Cognée
Sept grands formats de Philippe Cognée ornent les murs de l’église, comme une réponse à l’environnement extérieur, et à la relative austérité de l’église romane. Élancés, lumineux, les tableaux s’enracinent, frôlent l’abstraction et la surexposition : la peinture mélangée à de la cire est fondue par endroits, floue et vibrante. Comme la foi ? A.F.
Traverser les Paysages
Jusqu’au 3 novembre