C’était en 2001, à La Criée. Angelin Preljocaj créait Helikopter sur le bruit infernal de la pièce de Karlheinz Stockhausen : les quatre musiciens du Quatuor Arditi, embarqués dans quatre hélicoptères, décollent puis stagnent. Eux, sonorisés, jouent, de longues glissades ascendantes ou descendantes, stridentes la plupart du temps, lyriques par instants, rappelées par le compte des mesures eins, zwei, drei, viiiier…
Les danseurs se placent dans l’espace et combinent eux aussi leurs mouvements dans des lignes mouvantes projetées au sol, des codes numériques, des cercles concentriques que leurs corps semblent perturber… Une illusion, ces perturbations faisant en fait partie de la vidéo, et les danseurs inscrivant leurs pas, au millimètre et à la microseconde, dans les lignes tracées.
Un exploit technique qui se double de phrases chorégraphiques complexes exécutées à l’unisson, de gestes amples et souples, d’équilibres précaires, de corps qui combinent leurs membres dans des passes inédites, de changements rythmiques : bref une partition d’une difficulté extrême, que les danseurs de 2025 exécutent avec plus d’évidence encore que les créateurs de 2001.
Abstraction ? Rien n’est plus peuplé d’émotions que ces corps qui se battent contre les éléments, les lignes numériques, que ce quatuor qui lutte contre les pâles et s’impose, vivant, vibrant, jusqu’à l’atterrissage. Jusqu’au solo final, tranquille, imposant son ultime rotation en silence.
Après la mort
Après Helikopter, avant Licht, le chorégraphe projette les images d’un entretien qu’il a eu avec le compositeur quelques mois avant sa mort. Ils y soulignent les points communs de leurs œuvres, faites de combinatoires infinies, d’aléas régulés, de superpositions abstraites qui visent pourtant unemystique reflétant un ordre transcendant loin des limites humaines.
« Mehr Licht » (« plus de lumière ») aurait dit Goethe en s’éteignant, entrevoyant un au-delà qui traverse souvent les œuvres du chorégraphe. Licht est un parcours lumineux et comme désincarné, où les douze danseur·euses heureux·ses évoluent sur la musique de Laurent Garnier qui est comme un hommage pulsé à l’électronique bricolée de Stockhausen.

D’abord en joggings colorés, ils se débarrassent de leurs oripeaux pour apparaître dans des voilesminimales couleur chair et enchaînent des séquences où ils dansent, solitaires, en lignes, en couples répétés ou en groupe uni pour former des combinaisons nouvelles. Comme dans Helikopter les ensembles et les unissons sont parfaits, mais laissent aussi surgir comme des bribes d’individus, les « âmes des corps » qui apparaissent, comme le dit souvent le chorégraphe.
Car la danse, jamais, n’est abstraite, pas plus qu’une interprétation musicale. Que l’on y perçoive une quête mystique ou un souvenir plus ou moins conscient : Angelin Preljocaj a parfois raconté comment il a rejoint Vermosh, le village albanais que ses parents avaient quitté clandestinement avant sa naissance. En hélicoptère, en 1994, survivant sous le bruit des pâles.
AGNÈS FRESCHEL
Helikopter/Licht est joué jusqu’au 3 mai au Théâtre de la Ville Sarah Bernhardt, Paris.
À venir
Du 13 au 17 mai au Pavillon Noir (Aix-en-Provence)
3 juin au Théâtre de la Colonne (Miramas)
Du 11 au 14 juin à la Criée (Marseille)
Juillet : à Châteauvallon (Ollioules) et au Théâtre de L’Archevêché (Aix-en-Provence)
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