Depuis sa création en 2011 la pièce du québécois a été traduite ou adaptée en une dizaine de langues, rencontrant sur scène, de l’Ecosse à l’Espagne en passant par l’Allemagne et l’Ukraine, le même succès sidéré, doublé par celui du film de Xavier Dolan (2013) qui à 24 ans incarnait un Tom blond assez éloigné du personnage originel. Rodrigo Portella le retrouve.
L’auteur québécois a écrit que cette version en portugais était la plus surprenante et la plus réussie de sa pièce. Il faut dire que le Brésil connaît le record mondial de meurtres d’homosexuels. 228 meurtres en 2022. L’homophobie n’y est un crime que depuis 2019. La violence dérangeante de la pièce francophone, qui oppose un homosexuel à son beau-frère, brute homophobe, repose sur l’attirance masochiste que le citadin éprouve pour son tortionnaire. Transposée au Brésil, jouée par un acteur moins jeune, plus grand et plus costaud, la question n’y est plus l’ambiguïté du désir, mais l’horreur de l’emprise.
Thriller déchirant
Sur un plateau recouvert d’une simple bâche de plastique maculée de terre et de flaques de boue, évoluent quatre acteurs prodigieux. Une danse de désir, de violence, de deuil, de mort, de solitude, de mensonge, d’illusion, d’amour, de remords, de déni, se joue en deux heures d’une rare intensité théâtrale. L’écriture virtuose dédouble en permanence la présence de Tom, qui vit et commente en même temps : l’emprise est là, immédiate, dès les premiers coups portés, nocturnes, qui sont un choc dont il ne se relèvera pas.
L’évocation constante de la chair putride, d’un vêlage, des traites de lait gras, de plats décongelés qui font vomir, de parfums qui s’emmêlent et attirent, tout construit un tourbillon insoutenable qui ne peut que redoubler la perte initiale, tant les identités qui tournent autour du mort, de son amant Tom, de son frère, de sa vraie/fausse maîtresse, de sa mère dont on ne saura jamais ce qu’elle sait vraiment, évoquent de pistes transgressives, incestueuses, perverses, qui ne seront jamais résolues.
La fin, grandiose, casse la représentation pour dire simplement, face au public, le meurtre final. Jamais la violence, portée pourtant par les mots seuls et par un comédien grandiose, n’aura été aussi insoutenable.
Agnès Freschel
Tom na Fazenda a été joué à Châteauvallon, Scène Nationale, le 17 février