mercredi 29 janvier 2025
No menu items!
Plus d'infos cliquez ci-dessousspot_img
AccueilÀ la UneAu cœur du doute

Au cœur du doute

Pour ouvrir le Fest’Hiver, Tiago Rodrigues a offert aux Avignonnais Catarina et la beauté de tuer des fascistes. Une pièce qui interroge profondément les réactions que les démocrates peuvent opposer au fascisme contemporain

C’est la 140e représentation, elle a tourné partout, sauf dans la région du directeur du Festival d’Avignon. Écrite et créée après la première vague du Covid, elle se déroule en 2028, une légère dystopie qui se voulait une alerte, mais s’avère de plus en plus prophétique : dans une rencontre qui a succédé à la représentation Tiago Rodrigues a rappelé qu’au Portugal, pays qui a vécu la plus longue dictature fasciste d’Europe, l’extrême droite n’a accédé à l’assemblée qu’en 2021. Mais qu’elle est passée en 3 ans d’un député à 57, c’est à dire à plus d’un quart de l’assemblée, et pourrait à ce rythme, en 2028, être majoritaire, comme dans Catarina

« Si j’avais des réponses je ferais de la politique. Je n’ai que des questions, donc je fais du théâtre », répond-il à un spectateur qui lui demande s’il défend la lutte armée. Et c’est par le théâtre qu’il ouvre des abîmes de questions. Cette famille qui s’habille en paysannes traditionnelles et s’appelle uniformément Catarina, et qui tue chaque année un fasciste depuis 74 ans, défend-elle la démocratie comme elle le croit, ou se comporte-t-elle en fasciste, ce qu’elle admet aussi au prétexte que la fin justifie les moyens ? 

Faut-il encore questionner ? 

Dès que le doute s’installe chez une des Catarina, l’exécution du fasciste enlevé devient impossible. Cette exécution, ce meurtre, est-il l’acte de terroristes, de partisans, de résistants ? Les arguments des Catarina sont convaincants souvent : iels défendent les droits des femmes contre un régime qui couvre les féminicides, interdit l’homosexualité, permet aux « opinions » d’exprimer librement des concepts violemment antidémocratiques et discriminatoires. Mais faut-il tuer, y compris dans un régime démocratique ? Les Catarina ont continué leur meurtre annuel entre 1974 (Révolution des Oeillets et fin de la dictature de Salazar) et 2028 (avènement du fascisme par les élections dans le Portugal dystopique). 

Les arguments de la jeune Catarina s’affermissent jusqu’au « non » final, qui ressemble à celui d’Antigone : le meurtre n’est pas efficace, tuer n’a pas empêché que le fascisme advienne, tuer ajoute à la terreur et à la confusion. 

Sans issue

La fin, pourtant, semble lui donner tort, le fasciste libéré tenant un discours de 25 minutes, en crescendo, énonçant toutes les horreurs auxquelles la médiatisation et la banalisation des discours d’extrême droite ont habitué nos démocraties. Un discours de rejet des minorités, suprématiste, sexiste et raciste, qui s’impose jusqu’à l’écœurement. Le public, révolté, se divise, certains sortant pour ne plus entendre, d’autres hurlant des slogans antifascistes, d’autres disant « mais enfin, c’est du théâtre... »

Du théâtre, porté par des comédien·ne·s extraordinaires, dans un décor pesant et sylvestre, une prison qui semble s’ouvrir pour enfermer toutes les Catarina dans ses murs sauvages, ses rituels barbares, ses repas de pieds de porcs et ses costumes dégenrés et folkloriques, auxquels ne s’opposent que le costume aseptisé du fascisme. Le doute leur survit, sans aucune sortie possible, sauf à croire, passionnément, au pouvoir politique du théâtre. 

AGNÈS FRESCHEL

Catarina et la beauté de tuer des fascistes a été joué à la FabricA, Avignon, les 18 et 19 janvier.
À venir
Du 19 au 21 mars
La Criée, Centre dramatique national de Marseille

Retrouvez nos articles Scènes ici

Article précédent
Article suivant
ARTICLES PROCHES