Depuis sa création en 1995, Annonciation d’Angelin Preljocaj semble se réinventer à chaque nouvelle distribution, dévoilant des subtilités nouvelles et prête à livrer de nouvelles lectures, tout en préservant une part de son mystère. La saison dernière, associée à Torpeur (2023) et Noces (1989), elle s’inscrivait dans un triptyque révélant des rapports complexes et souvent douloureux entre hommes et femmes. Tout en esquissant un lien fort et énigmatique entre ses personnages féminins, solidaires dans une subordination partagée, où complicité et résignation semblaient se répondre en silence. Adossée à Un Trait d’union (1989) et Larmes blanches (1985), elle rappelle que le chorégraphe ne se révèle jamais aussi puissant que dans le duo et ses déclinaisons les plus nuancées et ambivalentes.
Ferveur baroque
Le quatuor qui conclut ce très bel enchaînement et rassemble les deux duos vus précédemment résonne ainsi comme un retour aux sources. Larmes Blanches, érigé sur le contrepoint de Bach et de Purcell joliment délié au clavecin, convoque une grammaire inflexible et savante des corps et une tenue aristocratique. Préfigurant les jeux tour à tour badins et cruels qui seraient le nœud du Parc (1994), les duos et genres échangent et s’intervertissent. La grâce juvénile de Florette Jager, encore marquée par la candeur de sa Marie, se heurte à la jovialité sans détour de Clara Freschel, archange déterminé et vigoureux. Revenus d’Un Trait d’Union, Antoine Dubois et Valen Rivat-Fournier demeurent dans une dynamique de rivalité et de complémentarité. Le dialogue est complexe et savoureux, aussi riche et envoûtant qu’une fugue. Car c’est bien la ferveur du baroque, dont la musique accompagnera chaque pièce, qui marque ici le langage, davantage qu’un désir de classicisme.
Avant cela, on aura découvert des duos sublimes, dans leur exigence technique comme dans leur inventivité folle : ni Un Trait d’union, ni Annonciation semblent n’avoir aujourd’hui pris une ride. Tout juste lira-t-on plus obstinément dans leur enchaînement un passionnant récit d’assujettissement et d’affrontement, là où d’autres époques ne nous y auront fait miroiter que de gracieux et audacieux pas-de-deux. Plusieurs motifs se détachent. On remarque notamment que les jeux d’imitation, de questions et de réponses, gravitent toujours autour de l’idée, littérale et figurée, d’assise : sur le cadre d’un tableau sublimé dans Annonciation, sur un imposant fauteuil dans Un Trait d’Union. Mais surtout d’une figure sur l’autre. On réalise que les portés, maîtrisés à la perfection par leurs interprètes, élancent moins les corps qu’ils ne semblent les interrompre, les tordre et les contenir ; que les pauses, les respirations profondes, les regards perdus, marquent plus durablement la rétine qu’ailleurs. Que les étreintes feintes, évitées, redoutées, semblent davantage unir les danseuses et danseurs dans un geste de folie que dans une douce communion.
SUZANNE CANESSA
Spectacle donné du 19 au 22 décembre au Pavillon Noir, Aix-en-Provence.
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À venir
Annonciation, Torpeur, Noces, le 9 janvier, au Théâtre Durance, Scène nationale Château-Arnoux-Saint-Auban