Subir. Se taire. Mentir. C’est le bréviaire des Afghans au pays de leurs frères. Ces « frères » ce sont les Iraniens. Plus de 5 millions d’Afghans fuyant la guerre se sont réfugiés en Iran. Même langue, même religion, une frontière commune, mais le sort universel des immigrés. Exploités, méprisés, sous-citoyens contraints de plier l’échine sous la menace constante d’être renvoyés. Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi, tous deux iraniens, mettent en scène le drame de trois d’entre eux, en adoptant leur point de vue.
Le jeune Mohammad, d’abord (Mohammad Hossel). Lycéen méritant, doué pour ses études, il travaille après les cours avec sa famille et d’autres Afghans dans une exploitation horticole. On est en 2001. Tandis que les bombes américaines tombent sur Kaboul, il cueille des tomates avec Qasem (Bashir Nikzad) et sa sœur, Leila (Hamideh Jafari), dont il est amoureux. Romance sans espoir. Leila est promise à un autre par son père. Mohammad se tait. À quoi bon dire ses sentiments ? À quoi bon raconter plus tard les exactions de policiers iraniens qui réquisitionnent les jeunes afghans pour les faire travailler gratuitement à la réfection de leurs locaux. À quoi bon parler de l’agression qu’il subit parce qu’il est trop mignon ?
Dix ans plus tard, en 2011, c’est Leila qu’on retrouve, teinte en blond, mariée à Hossein et mère d’un garçonnet rieur. Ils sont les gardiens d’une résidence secondaire au bord de la mer Caspienne, appartenant à de riches bourgeois paternalistes et non moins esclavagistes. Hossein, malade, meurt alors que les propriétaires arrivent pour fêter le nouvel an persan. Leila se taira craignant l’expulsion du pays. Elle mentira, enterrera le corps clandestinement sous les yeux d’un chien errant, pendant que les feux d’artifice exploseront sur la plage et que les lampions fragiles s’envoleront dans la nuit.
À quoi bon ?
Le dernier chapitre s’ouvre en 2021. Qasem attend. Il a été convoqué au ministère des Affaires étrangères. Il est en Iran depuis trente ans maintenant. Sa fille cadette fait de la boxe. Son grand fils est parti, croit-il, travailler en Turquie. En fait le jeune homme a été envoyé sur le front syrien dont il ne reviendra pas. L’Iran accorde la nationalité aux familles des « martyres ». C’est ce que veut lui annoncer le fonctionnaire. À quoi bon crier ? Qasem se tait, pleure sans bruit. Il cachera le plus longtemps possible la vérité à sa femme sourde avec laquelle il parle le langage des signes. On les laissera recroquevillés sur leur douleur dans un long couloir blanc. La caméra, pudique, s’éloignera d’eux.
Aucune violence n’est montrée dans ce triptyque dramatique, cruel, habilement construit, qui privilégie l’ellipse et respecte le silence de ses protagonistes. Au Pays de nos frères porte un regard triste et tendre sur ceux, qui au-delà des nationalités, Iraniens, Afghans ou migrants de tous bord, sont juste, faut-il le rappeler, nos frères humains.
ELISE PADOVANI
Au Pays de nos frères, Raha Amirfazli et Alireza Ghasemi
En salles le 2 avril