Que peut encore nous dire Don Giovanni aujourd’hui ? Pour cette saison célébrant les 200 ans de l’Opéra Grand Avignon, son directeur Frédéric Roels avait à cœur d’apporter sa propre réponse. Et ce avec d’autant plus d’impatience que sa première tentative avait été contrariée par les contraintes sanitaires de 2020, avant de trouver refuge dans le cadre du Palais des Papes le temps d’une captation filmée.
Marquée par la monumentalité du lieu, la scénographie de Bruno de Lavenère recrée les arches et volutes dépouillées du monument et y insère d’autres marqueurs temporels – dont une cabine téléphonique très vintage. Les costumes de Lionel Lesire poursuivent ce jeu entre les époques et la théâtralité du dispositif : drapé blanc intemporel et bottes et cravache de cuir pour la très séductrice Zerlina d’Eduarda Melo ; chemise noire ouverte façon rock star pour le Don Giovanni volubile et très convaincant d’Armando Noguera, et pour le Leporello, en très grande forme, de Tomislav Lavoie. Complice moins agacé qu’à l’accoutumé, le valet se fait témoin actif de l’action, gardant son fameux catalogue dans un appareil photo à longue focale. Le Masetto d’Aimery Lefèvre traîne sur scène son regard hébété et sa moustache d’anthologie sur scène avec une aisance à la hauteur de son amplitude vocale impressionne. Les invités de la noce, eux, s’affichent en tenues carnavalesques éclatantes.
Quand la fosse élève la scène
Quelque chose peine cependant à se cristalliser. Engoncée dans des costumes plus rigides, dépourvue de ligne directrice, la Donna Anna de Gabrielle Philiponet semble privée de volonté propre. Consentante au début du premier acte, outragée quelques scènes plus tard, abasourdie tout au long de la seconde partie, elle n’existe guère que par la splendeur vocale d’une incarnation pourtant impressionnante.
Même constat pour l’Ottavio de Lainghua Gong, livrant un « Dalla sua pace » d’anthologie mais peinant plus que jamais à s’impliquer dans l’action. Coincée entre les deux mondes – respectable ou noceur – esquissés par la mise en scène, la très solide Donna Elvira d’Anaïk Morel hérite d’une partition trop univoquement éplorée. Monumental sans le moindre effort, le Commandeur de Mischa Schelomianski fait presque oublier la fadeur de son habit de lumière : guenilles, lunettes et cannes de malvoyant. Rien ne semble en somme avoir réellement intéressé le metteur en scène dans ce mythique opéra du désir et de la déchéance, hormis une certaine idée de la flamboyance.
Voilà qui est d’autant plus dommage qu’une rencontre, réelle, avec l’opéra a bel et bien eu lieu : celle de la cheffe Débora Waldman et de son impressionnant orchestre avec la partition. Dès l’ouverture, le sens des proportions, la justesse des équilibres, la complémentarité des timbres et la profondeur des enjeux résonnent avec une clarté saisissante. Tout au long de l’opéra, la cheffe épouse avec douceur et technicité les lignes vocales, et unit avec finesse un plateau désarmé à une fosse toujours consistante. Rien que pour elle, ce Don Giovanni-là valait le détour.
SUZANNE CANESSA
Don Giovanni a été donné les 10, 12 et 14 octobre à l’Opéra Grand Avignon
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