Elles avaient déjà fait sensation l’an dernier sur un programme romantiquissime. Et elles sont revenues cette année au Festival de Quatuors du Lubéron, fortes d’une belle promesse. Le Quatuor Hernani s’est cette fois attelé à trois pièces peu connues du répertoire. Fidèle à l’idée maîtresse d’un festival célébrant cette année sa cinquantième édition, les musiciennes issues de l’Orchestre de l’Opéra de Paris sont remontées dans le temps par blocs de cinquante ans. Du quatorzième quatuor de Chostakovitch, composé peu avant sa mort en 1975, ausingulier et fin-de-siècle Concert d’Ernest Chausson, en passant par Benjamin Britten et ses Trois Divertimenti. Un beau voyage sur lequel les instrumentistes révèlent une complicité étonnante pour un quatuor fondé il y a à peine quatre ans. On a rarement entendu une telle vigueur et une telle finesse de son, doublée d’une entente irréprochable sur des pièces pourtant complexes et mouvantes. Presque aucun regard n’est échangé, et pourtant un sens commun de l’attaque et de la respiration s’impose, comme si quatre voix se fondaient dans un seul corps.
Sublime et grotesque
Le quatuor de Chostakovitch est d’emblée porté avec intensité : œuvre testamentaire où le violoncelle mène la danse, il trouve en l’impressionnante Tatjana Uhde une colonne vertébrale. Dans les Trois Divertimenti de Britten, pièce encore trop rarement jouée, les musiciennes montrent une étonnante maîtrise des contrastes : ironie mordante, moments de légèreté presque grotesques, mais aussi lyrisme tendre. Lise Martel déploie un premier violon souple, ample, qui respire large et donne les impulsions nécessaires. Elle dialogue sans cesse avec le second violon Louise Salmon, d’une précision redoutable. Marion Duchesne, à l’alto, apporte un chant lyrique, une chaleur presque vocale qui enveloppe l’ensemble.
Le Concert pour piano, violon et quatuor à cordes d’Ernest Chausson conclut la soirée. Les Hernani y sont rejoints par le violoniste Julien Dieudegard, – d’une intensité saisissante, son jeu se fondant avec naturel dans la texture – et par Jonas Vitaud, pianiste d’une écoute et d’une sensibilité exemplaires. Ensemble, ils livrent une interprétation incandescente de cette œuvre monumentale, tour à tour fougueuse, méditative, lyrique.
Le public, rassemblé dans l’abbatiale de Silvacane, reste suspendu à ces batailles de la modernité, où réalisme et grotesque côtoyaient le chant le plus pur. Comme un écho au nom choisi par les musiciennes : Hernani, drame de la jeunesse et de l’audace, qui proclame que l’art ne vit que de la tension entre tradition et rupture.
SUZANNE CANESSA
Le concert a été joué le 30 août à l’abbaye de Silvacane, dans le cadre du Festival de Quatuors de Luberon.
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