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Bijou Brut

The Nine Jewelled Deer fait merveille au Théâtre du Jeu de Paume

Lors d’une conférence en hommage à Pierre Audi, son dramaturge et conseiller Timothée Picard évoquait l’aspect le plus secret – et sans doute le plus singulier – de sa vision artistique : un opéra conçu comme un rituel, traversé par une spiritualité discrète mais essentielle. C’est là tout le cœur de The Nine Jewelled Deer, opéra-monde adapté des Jātakas, récits des vies antérieures du Bouddha. Ce conte composite, à la fois méditatif et incarné, invite à une communion rare : le public y entonne une ritournelle en tamoul puis un bourdon vibrant qui clôt cette fresque de l’intime – fait presque inimaginable dans un festival qui interdisait il y a peu d’applaudir entre les airs. 

Le spectacle se déploie en trois tableaux : une fresque rupestre chinoise où une biche miraculeuse sauve un homme de la noyade ; une cuisine indienne contemporaine, refuge de soin et de transmission ; et enfin, le jardin d’un moine où s’enseigne l’« Éveil ». Le livret poétique dépouillé de Lauren Groff et les paysages picturaux de Julie Mehretu peuplent cet opéra d’ombres et de lumières. Créé en partenariat avec la Fondation LUMA, il prolonge la quête de Pierre Audi : faire de l’opéra un espace de transformation intérieure.

Trois femmes puissantes

Porté avec élégance par Peter Sellars, le projet laisse pleinement rayonner les voix complices qui l’animent, au premier rang desquelles celle de la compositrice Sivan Eldar et de la chanteuse Ganavya Doraiswamy. Formée à Berkeley et à l’IRCAM, Eldar s’impose ici en observatrice attentive, laissant toute latitude à l’inspiration de son interprète américano-indienne. Poétesse, chanteuse, improvisatrice singulière, Ganavya Doraiswamy conduit les spectateurs vers des territoires inconnus avec une douceur presque chamanique.

Leur dialogue donne naissance à un langage musical à deux têtes, aux croisements féconds. On y entend la musique instrumentale dite « classique– avec Nurit Stark, au violon et à l’alto, et Sonia Wieder-Atherton, bouleversante au violoncelle. Le souffle du jazz et de la musique contemporaine irrigue aussi la partition, à travers les anches fiévreuses de la clarinettiste Dana Barak et du saxophoniste Hayden Chisholm. La matière électronique, pilotée avec finesse par Augustin Muller, s’enlace aux rythmes traditionnels indiens, portés par les percussions de Rajna Swaminathan et les voix habitées de Ganavya Doraiswamy et d’Aruna Sairam – légende du chant carnatique et véritable mémoire vivante, qui incarne ici Seetha Doraiswamy, la grand-mère de la chanteuse.

C’est dans cette invocation intime que The Nine Jewelled Deer trouve sa force la plus émotive. La figure de Seetha, fondatrice d’un « kitchen orchestra » dédié au soin des femmes, dit la transmission, la résistance, la réparation. L’opéra devient alors un geste de guérison, où le chant panse les blessures, où la voix protège. Lorsque surgit un chant en forme de cri étouffé, confronté aux clameurs d’un violoncelle primitif, le spectacle se fait plus sombre, évoquant le pillage – humain, spirituel, symbolique – qui traverse les siècles.

SUZANNE CANESSA

The Nine Jewelled Deer a été joué du 6 au 8 juillet au LUMA -Arles et du 13 au 16 juillet au Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence

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Suzanne Canessa
Suzanne Canessa
Docteure en littérature comparée, passionnée de langues, Suzanne a consacré sa thèse de doctorat à Jean-Sébastien Bach. Elle enseigne le français, la littérature et l’histoire de l’Opéra à l’Institute for American Universities et à Sciences Po Aix. Collaboratrice régulière du journal Zébuline, elle publie dans les rubriques Musiques, Livres, Cinéma, Spectacle vivant et Arts Visuels.
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