Ted Huffman et Olivier Leith ont proposé à Aix-en-Provence en création mondiale, une adaptation en opéra de chambre de Billy Budd de Britten (1913-1976), œuvre elle-mêmeinspirée d’une nouvelle d’Herman Melville. Si cette production tient peu la comparaison avec la magistrale version originale avec orchestre, ce format, réduit, est cependant une bien belle réussite.
Cet opéra, exclusivement masculin, se déroule au XVIIIe siècle, à bord d’un navire de guerre britannique, L’indomptable, régi par des lois morales où émotions et désirs n’ont pas droit de cité. Britten, qui vit alors son homosexualité dans une Angleterre conservatrice où celle-ci est encore criminalisée, trouve ici un terrain d’expression symbolique.
Tragédie du non-dit
La force de cette pièce réside dans la dynamique entre trois personnages : le jeune Billy, d’une beauté et d’une innocence lumineuse, interprété par Ian Rucker, baryton à la voix claire et souple qui incarne le mousse désarmant, marqué par un bégaiement, illustrant, latragédie du non-dit, de la parole empêchée, de l’amour réprimé.
Celui-ci est l’objet d’un désir trouble de la part de Claggart, capitaine d’armes, interprété avec une noire intensité par Joshua Bloomer. Ce dernier, incapable d’assumer l’attirance qu’il éprouve pour Billy préfère fomenter sa perte. Son aria central O beauty, O handsomeness, goodness! déploie une interprétation radicale, celle d’un personnage rongé par la frustrationqu’il détourne en haine.
Face à eux, le capitaine de navire Vere, campé par Christopher Sokolowski, semble droit dans ses bottes. Mais sa voix trahit l’ambiguïté. Il incarne cette figure du témoin déchiré entre sa fonction et sa tendresse pour Billy. Son grand monologue final, après l’injuste condamnation à mort de Billy, le montre hanté par la culpabilité de celui qui, lui non plus, n’a pu ni dire, ni sauver.
Le sommet émotionnel est atteint par Billy in the Darbies, solo de Billy juste avant son exécution, porté par le phrasé juvénile, presque enfantin de Rucker. Cette acceptation paisible de la mort, servie par la mise en scène, donne à Billy une dimension christique.
Si le livret, coécrit par Britten et E.M. Forster, n’évoque jamais explicitement l’homosexualité, tout le suggère. Ce « sous-texte » devient aujourd’hui central dans les lectures contemporaines. Cette création l’assume avec justesse et élégance. Soixante-dix ans après sa création, l’histoire de Billy Budd ne cesse de résonner.
ANNE-MARIE THOMAZEAU
Spectacle donné le 5 juillet au Théâtre du Jeu de Paume, dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence.
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