lundi 30 juin 2025
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Briser le passé, sculpter l’avenir  

Avec Engagée, la Villa Datris présente le travail de 64 artistes femmes issues de 28 pays, dans une exposition aux puissants discours féministe et social 

La Villa Datris est un lieu qui détonne. À L’Isle-sur-la-Sorgue, au cœur d’un territoire où le Rassemblement national fait des scores historiquement hauts, où l’on n’a plus peur d’accrocher à ses fenêtres des drapeaux célébrant Marine Le Pen ou Jordan Bardella, elle offre chaque année des expositions à rebours du mauvais vent ambiant. L’an dernier, elle présentait Faire corps, une étude artistique sur le corps, souvent féminin, et ses représentations. Cette année on y découvre Engagées, qui met en lumière le travail de 64 artistes femmes du monde entier, dans des sculptures aux discours politique, militant et rebelle. 

Une volonté que Danièle Marcovici, fondatrice de la Villa et curatrice de l’exposition, affiche dès les premières lignes de son édito : « Longtemps ignorées et privées de reconnaissance, les femmes artistes ont été dominées par des sociétés patriarcales et éclipsées de l’histoire de l’art ». Si le constat est connu et n’a rien de révolutionnaire, la Villa joint la parole aux actes, et met en symphonie une centaine d’œuvres qui interrogent, avec joie ou colère, les démons d’une société patriarcale et capitaliste. 

Femmes objets et femmes au foyer

L’exposition débute en extérieur, avec une série d’œuvres qui pourrait facilement passer inaperçue. Car si l’œil est d’abord attiré vers un immense et magnifique escarpin construit en ustensiles de cuisine (casseroles, couvercles…), derrière se cachent les statues plus discrètes de Céline Cléron. Ce sont des cariatides, finement sculptées, qui ne portent pas un entablement sur la tête, mais une belle dose de charge mentale : un immense cabas pour les courses, une pile de bouquins, une petite maison de bois. Intitulé Ce qui pèse, l’ambiance est donnée pour le reste de la visite. 

À l’intérieur, chaque espace répond à une problématique que pose la société capitalo-patriarcale : et pour tous les accueillir, la Villa n’est heureusement pas un modeste T2… Ainsi les pièces s’intéressent à l’oppression des femmes, de la planète, la représentation du corps féminin… et accueillent les visiteurs avec un « tract » imprimé, où l’on peut lire notamment : Femmes objets, Femmes au foyer, Soumises/Opprimées, Hystériques/Rebelles. 

Fil barbelé 

À l’image de la scène artistique contemporaine, l’art textile est présent dans de nombreuses œuvres présentées. La scénographie offre d’ailleurs un hommage à l’une des révolutionnaires de cette technique, la Polonaise Magdalena Abakanowicz, qui fut la première à sculpter le textile, rompant ainsi la tradition, cassant le passé, après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale. Son Ange noir, présenté à la Villa, est une immense sculpture de sisal tissé en trois dimensions, qui demande que l’on s’arrête quelques minutes, pour en admirer toutes les circonvolutions, et le travail vertigineux de l’artiste.   

Du fil toujours, avec Ghada Amer et son tableau Three Lines for Shirpa. L’artiste égyptienne – dont on a pu admirer le travail au Mucem – vient broder au fil une toile tendue, et y dessine des femmes nues, aux positions suggestives, inspirées de magazines pornographiques ou de tableaux classiques ( !). Elle dénonce ainsi le « regard historiquement porté sur les femmes dans l’art et dans la société tout en célébrant la sexualité et le plaisir féminin. »

À l’étage, le fil devient social et politique avec Suzanne Husky. Dans Euro War Rug, elle tisse un immense tapis qui vient conter, telle la Tapisserie de Bayeux, les affrontements entre les forces de l’ordre et les occupants de la Zad du Testet, qui luttaient contre la construction du barrage de Sivens. Les CRS se mêlent aux tractopelles, aux arbres, aux militants arrêtés. Autour, des armes brodées, une référence directe aux artisans afghans qui ajoutaient des motifs d’armes de guerre à leurs tapis pendant l’invasion soviétique de leur pays. 

64 artistes engagées 

Mais ce qui fait la force de cette exposition, derrière son propos politique, c’est aussi la profusion d’œuvres exposées. Et on dirait volontiers que l’on en a pour son argent si ce n’était pas gratuit. 

Aussi on sourit devant les grands panneaux siglés « Annie Warhol » et « Marcelle Duchamp » d’Agnès Thurnauer ; on regarde inquiets les bâtons de dynamite au timer défaillant de Pilar Albarracin ; et on est petits devant le travail d’Anila Rubika, qui est allée à la rencontre des femmes emprisonnées pour s’être défendues de leurs maris tortionnaires. L’entreprise de l’artiste, et la parole qu’elle a donnée à ces femmes, a eu un effet notoire dans son pays, et a permis à plusieurs d’entre elles d’être graciées par le gouvernement albanais. Un bel exemple du pouvoir performatif de l’art dans la société… et de se rappeler que le rôle d’une Villa Datris – comme tant d’autres acteurs culturels – est loin d’être anodin sur un territoire gagné par des forces obscurantistes.  

NICOLAS SANTUCCI 

Engagées 
Jusqu’au 2 novembre
Villa Datris, L’Isle-sur-la-Sorgue 

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