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Ce « chien » qui n’aimait pas les arabes

Avec brio, Maryline Desbiolles conte dans L’Agrafe les stigmates de la guerre d’Algérie tatouées dans les mémoires

Emma Fulconis, la fille du garagiste a grandi à l’Escarène, bourgade située dans l’arrière-pays niçois à mi-chemin de la mer et du Parc national du Mercantour. Elle aimait courir et galoper libre et sauvage à l’ombre des chênes et des pins, sous le regard du Collet du chat, du Mont Gardeiron, de la cime de l’Erbossiera ou du Farguet, se laissant porter par le vent de mai délicieux qui accompagne ses foulées, ses dernières foulées car avant l’été sa jambe sera massacrée. 

Courir, bondir, c’était avant… Avant l’accident. La jeune fille est désormais bien vieille, âgée de sa blessure et de l’éternité des mois passés à l’hôpital. Elle qui fut une gloire locale et que l’on surnommait l’athlète, qui gagnait des compétitons en toute décontraction, est désormais particulière, douloureusement particulière. Elle ne cache pas sa jambe couturée « réduite à sa plus simple expression, la peau et les os, le tibia et la fibula, l’agrafe ». L’agrafe, c’est cet os que le chien d’un voisin a broyé en attrapant la jambe d’Emma Fulconis. Elle ne revoit pas bien la scène, elle ne voit pas le sang, elle n’entend pas le chien aboyer, ni grogner. La scène est étrangement silencieuse hormis ce que dit le maître du chien, ce qu’il gueule avec haine : « mon chien n’aime pas les arabes ». 

30 m2 de mémoire

Arabes ? De quels arabes parle-t-il ? Sûrement pas d’elle, elle qui descend en droite ligne de François Fulconis dit Lalin, maître tailleur de pierre né à l’Escarène, chef barbet connu pour avoir été un leader d’un mouvement d’opposition à l’intégration du Comté de Nice à la France révolutionnaire. Hantée par la phrase du voisin qui assume le fait de ne pas avoir retenu son molosse, elle tente de comprendre ce qu’elle sait déjà, mais dont on ne parle pas. La jambe déchiquetée d’Emma va la conduire au Mémorial du camp de l’Escarène qui rend hommage aux familles harkis qui arrivèrent dans le hameau de forestage et y vécurent de 1963 à 1980, dans des masures de 30 mètres carrés. Qui étaient ces « supplétifs » de l’armée française, « traitres pour les Algériens et moins que rien pour les Français » ?

ANNE-MARIE THOMAZEAU

L’Agrafe, de Maryline Desbiolles 
Éditions Sabine Wespieser - 18,50 €
Sortie le 29 août 

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