Au Diable Vauvert est une de ces rares maisons d’édition dont on sait que chaque livre est choisi avec un soin militant. Non pas avec la préoccupation prospective des ventes, mais avec celle de la littérature. Aussi est-on curieux quand Marion Mazauric, directrice de cette « maison d’édition malpolie, indépendante et décentralisée en Camargue » choisit un roman de Justine Niogret, qui a fait son style âpre et puissant en poésie, roman noir et fantasy celtique.
Calamity Jane, un homme comme les autres, accroche dès la première page. D’entrée l’écriture prend au corps, fait naitre des odeurs, des sensations, des images. La boue chaude, les larmes, la brûlure, le linge « autrefois blanc ». Calamity est là. Et restera présente jusqu’au bout, comme si on habitait sa tête et son corps, à la recherche d’elle-même, sous l’épaisseur bravache et pitoyable de son mythe et de ses mensonges.
Retrouver l’enfant
Dans un espace temps qui n’est plus celui de la vie, accompagnée par un ange aux doigts fins, au corps désirable et au nom arabo-indien, elle traverse des jours répétés qui l’amène à franchir les étapes à rebours, vers elle-même ; vers la tendresse, le désir, les paillettes d’or au creux du sable, l’eau qui étanche les soifs profondes, le calme, la paix ; des éclats de beauté qui s’inscrivent dans les pages tissées de douleur, de crasse, de mort, de faim, d’abandon, de renoncements, d’enfants délaissés, de larmes qui coulent, de misère.

Le sacrifice d’Abraham, infanticide demandé par Dieu de son fils Yitzhak (Isaac), ouvre le récit et le construit comme une arche discrète suspendue au-dessus du temps : traversant la quête de Jane en étapes, et sa vie à rebours. Quelle enfant Mary Jane Canary, dite Calamity Jane, a-t-elle sacrifié, pour devenir un homme comme les autres dans cet Ouest américain où les mythes – whisky, cavalcade, désert, guerre et révolver – se racontaient déjà sur des scènes de fortune, juste avant l’invention du western et du cinéma ?
AGNÈS FRESCHEL
Calamity Jane, un homme comme les autres, de Justine Niogret
Au Diable Vauvert – 19 €
Parution le 4 septembre
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