Chroniques d’Haïfa, histoires palestiniennes est un film intense. Parce que les caméras portées placent le spectateur au plus près des personnages, que l’authenticité des scènes est renforcée par l’absence de projecteurs. Parce que les acteurs non professionnels jouent leurs rôles comme un prolongement d’eux-mêmes. Parce que le tournage chronologique colle à leur évolution au fil des événements. Parce que la subtilité narrative et la temporalité élastique brouillent les repères et les points de vue. Parce que les sirènes d’alerte ponctuent la vie quotidienne. Et parce qu’enfin, au travers de sujets banals et privés, à l’intérieur d’une famille palestinienne bourgeoise, toutes les tensions de la société israélo-palestinienne transparaissent dans des drames imbriqués qui excluent l’épanouissement individuel.
C’est Fifi, qui mène une double vie : étudiante libre de son corps et de ses relations devenant au foyer la fille sage, docile et pudique, promise à un mariage conventionnel. C’est Walid, le médecin amoureux de Fifi qui renoncera à cet amour parce que Fifi n’est pas « un bonbon encore dans son emballage. » C’est Rami, son frère, qui refuse que la femme qu’il aime,Shirley, hôtesse de l’air juive, garde le bébé qu’elle porte. Un bébé inenvisageable pour leurs parents, comme pour les organisations israéliennes qui œuvrent par la violence et l’intimidation à briser toute possibilité de mixité. Les non-dits, les dissimulations, les mensonges, le croisement des points de vue tisonnent le malaise dans un crescendo savamment orchestré, en quatre mouvements.
Oppression perpétuelle
Arabes et hébreux s’entendent dans le film. Haïfa est une ville cosmopolite réputée pour la coexistence apaisée entre eux. Le film, en filigrane, montre que c’est illusoire. Une séquence saisissante dans une classe primaire où Fifi fait un stage montre comment on conditionne les enfants dès leur plus jeune âge à respecter Dieu et les soldats qui protègent l’unité du peuple élu. Les grandes fêtes juives rythment le calendrier s’imposant à tous les citoyens, dans une suprématie de fait.
Le titre arabe du film, Yinad Aleykou peut se traduire par : « Que cela se répète pour toi ». Une formule de vœux pour un avenir plus heureux qui prend ici un sens littéral avec le retour à la séquence du début pour Fifi, suggérant selon le réalisateur, un cycle vicieux d’oppression perpétuel.
Mon film, dit-il, « souligne le fait que la liberté est une question collective. Personne n’est libre si tout le monde ne s’est pas émancipé des formes d’oppression, qu’elles soient politiques, sociales ou culturelles. Le film vise à nous rappeler que nos luttes pour la liberté et l’égalité sont profondément liées. » Tourné en 2020, avant la pandémie, Chroniques d’Haïfa a pu concourir à la Mostra de Venise en 2024 où il a remporté le prix du meilleur scénario section Orizzonti.
ÉLISE PADOVANI
Chroniques d’Haïfa, histoires palestiniennes de Scandar Copti
En salles le 3 septembre
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