9 novembre 2021. Paris, le musée du Quai Branly. Des déménageurs au travail. Des emplacements vides. Des gestes délicats. En voyant les premières images du dernier film de Mati Diop, Dahomey, on pense à La Ville Louvre de Nicolas Philibert. Là, les objets ne vont pas dans les salles de restauration mais bien plus loin. 26 trésors royaux du Dahomey partent à Cotonou, la capitale de leur terre d’origine devenue le Bénin. Des statues de bois sont placées dans une caisse tel un cercueil, protégées, emballées comme une mise au tombeau avec le bruit des clous qu’on visse. Et une voix d’outre-tombe, celle de la statue anthropomorphe du roi Ghézo : « Qu’est ce qui m’attend ailleurs ? 26, juste 26, Reconnaîtrai-je quelque chose, me reconnaîtra-t-on ? ». En langue fon, celle que parlent les Béninois. On suit le cortège funéraire dans un long couloir. Retour au pays qui va être commenté poétiquement par la statue royale. Une voix intérieure élaborée par l’écrivain haïtien Makenzy Orcel. Voyage en avion et arrivée au palais présidentiel à Cotonou.
Une âme pillée
« Pour moi, la dimension historique du moment avait une dimension mythique que j’ai voulu retranscrire à travers la manière de filmer », précise Mati Diop. Les trésors filmés comme des personnages, qu’on accueille, qu’on installe, qu’on ausculte, qu’on découvre, qu’on célèbre, qu’on admire. Une des journaux : « Historique ! », liesse populaire, danses traditionnelles. Surveillance militaire et discours officiels. Si les statues et les notables parlent, ce ne sont pas les seuls…Comment la jeunesse béninoise vit-elle ce retour ? Mati Diop a tenu à donner la parole aux jeunes, comme souvent dans ses films. Elle a rassemblé une douzaine d’étudiants de l’université d’Abomey-Calavi, chercheurs ou jeunes conférenciers, venus d’horizons et de disciplines différents, art, histoire, économie, sciences sociales : « Nous devions être absolument sûrs que chacun défendrait un point de vue personnel sur la restitution des trésors. » 26 œuvres restituées sur 7000 encore captives au musée du Quai Branly ! Est-ce une insulte ou un premier pas ? N’est-ce pas une volonté du président français de donner une bonne image de son pays qui perd de l’influence en Afrique ? Quelles sont les véritables intentions du président Patrice Talon ? « Ce qui a été pillé c’est notre âme ! » Les objets de culte vont-ils devenir des objets d’art ? Un débat passionnant qui pose des questions essentielles, celle des restitutions coloniales, Mati Diop réussit avec Dahomey un film aussi beau, aussi envoûtant que Les statues meurent aussi (1953) d’Alain Resnais et Chris Marker, son film de référence.
« Nous pouvons soit oublier le passé, une charge désagréable qui nous empêche d’évoluer, ou nous pouvons en prendre la responsabilité, l’utiliser pour avancer. En tant que Franco-Sénégalaise, cinéaste afro descendante, j’ai choisi d’être de ceux qui refusent d’oublier, qui refusent l’amnésie comme méthode » a déclaré Mati Diop en recevant l’Ours d’Or à la Berlinale.
ANNIE GAVA
Dahomey sort en salles le 11 septembre
© Les Films du Losange