C’est une exposition où l’on pourrait s’arrêter des heures sur chaque photo. Elles sont une bonne centaine, mais elles ont toutes un geste, un regard, une force, un discours. À la chapelle Saint-Martin-du-Méjan, les Rencontres proposent une grande rétrospective de l’œuvre de Letizia Battaglia, photojournaliste italienne engagée, prix Eugene Smith 1985, connue pour son travail sur la mafia dans les années 1970 en Sicile.
La magie des rétrospectives est souvent de faire voir l’évolution d’un artiste : ses débuts, ses éclats, parfois son déclin. Mais avec Letizia Battaglia, rien ne bouge. Ou peut-être est-ce la société qui ne bouge pas. Car à travers son objectif, c’est la réalité la plus crue qu’elle saisit. « La photographie devient, ou plutôt elle est la vie racontée : je me glisse dans une photographie qui est le monde, c’est à dire que je deviens le monde et que le monde devient moi. »
L’exposition s’attache donc à retracer chronologiquement le parcours de l’artiste italienne. Il y a ses débuts dans la presse à Milan, où on lui confiait les sujets de mœurs, puis son retour dans son île natale où elle travaillera jusqu’en 1988 pour le quotidien L’Ora. Dans ce journal engagé à gauche, sa photo est à la fois politique et documentaire. Elle montre la réalité des crimes mafieux : les corps assassinés, les mères pleurant leurs enfants, ou le regard d’une jeune fille derrière un corbillard. Et puisque la misère est le terreau de la mafia, on voit aussi ces enfants sous alimentés, ou le doigt de ce bébé rongé par un rat.
Réalité surréaliste

Sa photo est aussi sociale, quand elle s’immisce dans une veillée funèbre, à la lueur de bougies, ou qu’elle suit les grandes manifestations religieuses siciliennes. Elle est même surréaliste, quand on voit cette colombe fendre la foule et se diriger vers deux garçons, ou ces enfants jouant avec les armes factices que leur offrent leurs parents.
Toutes ces photos, aux contrastes marqués, témoignent d’une époque qui n’est certainement pas révolue, en Sicile comme ailleurs. Il y a quelques jours à Nîmes, un jeune de 19 ans a ététorturé et assassiné par une bande de narcotrafiquants rivale. Le 11 novembre 1970, au lendemain de la mort du général de Gaulle, un même crime sordide était commis non loin de-là dans le Gard : « Deux cadavres atrocement mutilés ont été découverts hier près d’Orthoux. Les premiers éléments de l’enquête laissent présager qu’il s’agirait d’un règlement de comptes », expliquait alors le journal La Marseillaise. La réalité de Letizia Battaglia est d’une intemporalité glaçante.
NICOLAS SANTUCCI
Letizia Battaglia
J’ai toujours cherché la vie
Jusqu’au 5 octobre
Chapelle Saint-Martin-du-Méjan
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