Le spectacle était conçu de façon originale par les complices de plus de trente ans que sont les fantastiques pianistes François-René Duchâble, Clara Kastler, Hubert Woringer et Isabelle Terjan. « Il s’agit d’établir une progression en commençant par des pièces à une, puis deux, puis, trois, quatre, six et huit mains sur un deux et trois claviers », expliquait François-René Duchâble qui l’avant-veille initiait les enfants de l’école primaire de Pourrières au piano classique avec un clavier électronique monté sur un vélo.
C’est en présence du compositeur, Tristan-Patrice Challulau, né à Aix-en-Provence, qu’il ouvrait les festivités en interprétant son Grillos allegrios pour main droite, dessinant avec fluidité les paysages nocturnes où résonnent les accords ostinato des insectes nimbés des vibrations d’une note grave qui s’éternise. Le compositeur remercia son interprète : « j’ai enfin entendu le souffle de la poésie de mon œuvre contrairement à ce qui se passe lorsqu’elle est jouée par un artiste spécialisé uniquement dans le contemporain ».
Les enchantements se poursuivent : le pianiste passe à la main gauche dans une pièce de Scriabine, magie sensible qui se prolonge avec Docteur Gradus ad Parnassum, extrait de Children’s Corner de Debussy par Clara Kastler, sublime de virtuosité et de sensibilité.
Au bout malgré tout
Puis cette immense artiste s’écroulait sur scène, jouant jusqu’aux bords de son malaise, en duo avec François-René Duchâble, un arrangement pour trois mains de la Petite musique de nuit de Mozart.
D’un courage au-delà de toute mesure, son époux, Hubert Woringer prenait la suite pour que le morceau soit achevé. Le programme était remonté, réorchestré, remodelé au fur et à mesure, brillant, bouleversant, émaillé d’anecdotes.
C’est la transcription pour deux pianos par Dutilleux du Clair de lune de Debussy qui accompagne la pianiste alors que les pompiers l’emportent vers l’hôpital d’Aix. On joue sur les « partitions de Clara » qui a tout réglé. On laisse Bach, ce n’est plus possible, on reprend Sirènes de Debussy, sans les sirènes, la Romance du Concerto n° 2 de Rachmaninov… Isabelle Terjan déchiffre avec brio, les interprètes se surpassent, offrent la quintessence de leur art.
Le huit mains final sera un six mains, l’inénarrable et jubilatoire Galop de Lavignac qui sera repris en bis. L’impression, dans ce couvent des Minimes où l’opéra se partage au village dans un esprit exceptionnel, que la résistance aux sidérations du présent passera par la volonté inébranlable de tous.
MARYVONNE COLOMBANI
Concert donné le 30 juin au Couvent des Minimes, , Pourrières, dans le cadre de l’Opéra au Village.
Clara Kastler, victime d’un AVC, est à l’heure ou paraît cet article toujours hospitalisée, et n’a recouvert que partiellement sa mobilité