Inscrit dans la thématique de la filiation dès son titre, Ligne directe, le recueil poétique de la comédienne et poète Sarah Kéryna, instaure un faux jeu de miroirs entre les années 2018 et 2019,réalités diffractées, variations infimes. S’élabore un subtil exercice de collage où se voient juxtaposés extraits de journaux intimes de l’auteure, de sa mère, de sa grand-mère, dates des deuils, mais aussi, la tragédie de la rue d’Aubagne à Marseille, l’incendie de Notre-Dame de Paris.
Ces évènements sidérants deviennent des marqueurs indélébiles et scandent notre perception du temps. Autour, les détails du quotidien, un parfum, une couleur, un tas de linge, ancrent le discours dans la matérialité du vivant. La brièveté de la forme -souples distiques parfois construits en quatrains, vers isolés où se condense une émotion-, le goût des étymologies, matière à histoires, tout contribue à la construction d’une esthétique du fragment. Peu à peu l’ensemble s’orchestre en une musique douce et amère, nostalgique et sans concession, dont les vides sont à la fois des mises en relief des mots qui émergent en îlots denses et l’affirmation de l’importance du mystère des non-dits.
Reprenant l’origine du terme « histoire » cher à Hérodote qui dénomma ainsi ses recherches, -en grec ancien « histoire » signifie « enquête »-, l’auteure réordonne par des tris et des rangements multiples les héritages matériels et les éléments de la mémoire. Le texte s’organise en strates où musique, cinéma, peinture se conjuguent en « syntonie »: « lumière laiteuse des films japonais », anamorphoses, « bras droit étiré de la Vierge Marie dans / L’Annonciation de Léonard de Vinci », rêves, reflets de l’enfance, « espace de fiction », douleur de l’écriture qui s’égare lorsque la douleur de la perte est trop forte… Un diamant poétique dans lequel on aime à se perdre et à se retrouver.
MARYVONNE COLOMBANI
Ligne directe
Sarah Kéryna
éditions Plaine Page