Dès ses premières minutes, sur écran puis à la scène, le spectacle s’ouvre comme un irrésistible terrain de jeu. Chacun, appelé par son propre prénom, se débat avec la mémoire, l’élan collectif et les fantômes de Cassavetes et de son célèbre Opening Night, décliné ces temps-ci sur scène par le théâtre ou encore la danse. Mais le film n’est ici qu’un tremplin, un prétexte joyeux : ce qui compte, c’est l’énergie du plateau, le dérapage contrôlé, le plaisir évident d’un collectif qui accepte de se fissurer pour mieux rebondir. Le trou de Peter Van den Eede, le malaise de Joris Hessels, les ébranlements de Natali Broods, les agacements d’Annelore Crollet et les émois d’Annette Van den Eede composent une danse menée au bord du chaos, où l’amour et l’art affleurent précisément parce qu’ils se dérobent.
Joies du dérapage
Le collectif DE HOE cultive cette instabilité avec une précision vertigineuse. Le spectacle se réinvente sans cesse, rejoue ses ratages, transforme les crispations en moteur dramatique. Willy Thomas, auteur-metteur en scène épuisé, tente de tenir le fil alors que Peter, hanté comme lui par un ancien trou de mémoire, décide d’un geste radical : jouer sans texte, sans garde-fou, « pour la première fois », avant que Willy ne réplique, fataliste : « et pour la dernière ».
Cette tension infuse une série de variations fulgurantes, où la répétition devient un sport de haute voltige. Dans cette mécanique qui tourne, déraille puis repart, émerge une émotion franche, brute, portée par une mise en scène collective d’une intelligence rare. Et, il faut bien l’avouer, une langue virtuose, d’autant plus étonnamment maîtrisée qu’elle est maniée par une distribution flamande qui s’empare avec une joie communicative du français – le spectacle, déjà créé et amplement récompensé en flamand, connaît ici une nouvelle vie dans sa mue francophone. On sort ainsi d’Opening Night un peu étourdi, conquis par un théâtre qui ose buter, bégayer et rebondir pour mieux se révéler.
SUZANNE CANESSA
Opening Night a été joué les 24 et 25 novembre au Théâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence.
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