On avait une vague idée de ce que pourrait être Tout en Skaï et ses « chansons de voiture », mais rien ne préparait vraiment le public à la mise en scène délirante imaginée par Jeanne Béziers sur les compositions et arrangements de Martin Mabz. Invité à sortir du bâtiment de L’Ouvre-Boîte, le public se pressait sur le trottoir face à une vieille voiture recouverte de feuilles mortes, pas ramassées à la pelle et débarrassées grossièrement par un acolyte, laissant voir derrière le tableau de bord, place conductrice, l’actrice nimbée des loupiotes en guirlande qui ornent l’habitacle.
« Ils sont de sortie les blaireaux », entonne-t-elle face à une assistance hilare et un petit crocodile empaillé derrière le pare-brise. Qui l’eût cru ! la voiture permet, malgré l’étroitesse de ses possibilités une véritable chorégraphie : la comédienne sort par la fenêtre, agite les jambes, monte sur le capot, le mouvement échappe aux resserrements des lieux et exerce sa liberté où qu’il soit, à l’instar des mots des chansons et de leurs airs, familiers d’emblée et empreints d’un humour dévastateur et salutaire.
On rit à la mort, « enterrée dans le même cercueil que toi on se tiendrait froid », à la vie et ses tromperies « quand Claire ment, clairement, il ne faut pas la croire » … Les textes de Jeanne Béziers, férocement drôles, nous délectent !
Revenus dans la salle on assisteà la représentation de Julien-Gilles avec Julien Perrier seul en scène pour un « monologue en roue libre ». Peu à peu le personnage de VRP sûr de lui au sourire vendeur, fier de sa voiture, symbolisée par un siège mobile afin de faire face au public en « quadri-frontal », voit son monde s’effriter. Le discours assuré qui repose sur les éléments de langage de la « réussite » sociale et familiale se délite et sombre dans l’abandon et la détresse infinie des « abandonnés du système ».
MARYVONNE COLOMBANI
Tout en skaï et Julien-Gilles ont été créés le 13 juin à L’Ouvre-Boîte, Aix-en-Provence