L’héritage de Pina Bausch est considérable. Devenu en 2022 directeur artistique de son Tanztheater Wuppertal, Boris Charmatz en est bien conscient. D’autant que, créée en 1978, la chorégraphie Café Müller sur une musique d’Henry Purcell, signe l’acte fondateur de la compagnie et de ce que l’on a nommé « danse-théâtre ».
Et c’est en assistant aux répétitions de cette pièce mythique que Boris Charmatz a eu l’idée d’une représentation infinie, pour rendre toute l’émotion qui émane de Café Muller. Naît alors Forever (Immersion dans Café Müller de Pina Bausch), une installation chorégraphique de sept heures, proposée à la FabricA, dans laquelle sont explorées toutes les possibilités de danse qu’offre l’œuvre. Un parcours que les spectateurs peuvent emprunter à travers la salle pour confronter leurs interprétations.
Hommage à Pina Bausch
Dans une démarche renouvelée six fois au cours de la journée, les danseurs se succèdent pour faire revivre, le temps de représentations séquencées d’une heure environ, la célèbre chorégraphie. Tout l’univers de Pina Bausch, dont les parents tenaient un hôtel, est convoqué à nouveau, dans une ambiance bistrot des années 50. Comme dans la première version, le plateau est envahi de chaises et guéridons de café, poussés sans ménagement par un danseur qui cède le passage à ses partenaires, yeux clos. Une femme s’avance, bras tendus, mains tournées vers le ciel, sans rien voir et retrouve un homme lui aussi yeux fermés. Commence alors une relation chaotique entre eux et les quatre autres danseurs au plateau. Les corps se font et se défont. Les témoignages et anecdotes d’auteurs ou d’interprètes sur Pina Bausch que portent à la scène les danseurs s’ajoutent, conférant à la représentation un supplément d’âme.
Éternelle découverte
Les sensations éprouvées ne sont pourtant jamais les mêmes. Au moyen d’un dispositif scénique permettant au public de multiplier les points de vue, de s’asseoir sur les estrades de la scène autour des danseurs, ou de s’installer sur les coursives ou les gradins plus haut, le regard se décale. Le spectateur se réapproprie l’espace en même temps qu’il observe tous les détails et peut arriver ou partir à tout instant. Boris Charmatz parvient à donner davantage de relief à Café Müller en la déclinant dans plusieurs versions, en costumes ou en survêtements, ce qui convient aux danseurs, jeunes ou ayant eu une longue expérience avec Pina Bausch comme Nazareth Panadero ou Jean Laurent Sasportes. La communication lacunaire entre hommes et femmes, l’amour fou et la violence qui s’en dégage n’ont pas pris une ride. Obsédé par l’éphémère de l’instant et la danse qui s’arrête, Boris Charmatz conjure le passé et interroge le futur d’une œuvre et son prolongement dans l’espace et le temps. Elle pourrait se vivre éternellement.
CONSTANCE STREBELLE
Forever
Jusqu’au 21 juillet – La FabricA, Avignon