mercredi 2 octobre 2024
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[Festival d’Avignon] Angélica Liddell aux frontières du tabou

Pour sa première fois dans la Cour d’honneur du Festival d’Avignon, Angélica Liddell écrit une lettre d’amour à Ingmar Bergman, et dansant avec ses démons engage le public à une réflexion sur l’art, l’obscène et le sacré

Les premiers mots qu’Angélica Liddell prononce sur la scène de la Cour d’honneur de toute sa carrière ne sont d’elle, mais de critiques de médias français qu’elle cite nommément. Des attaques verbeuses auxquelles la performeuse espagnole répond par des insultes, plaçant de fait son art (voire sa personne) dans le champ de l’inattaquable. Si cela s’inscrit aisément dans la logique outrancière de Liddell, qui cite les Carnets de Bergman dans lesquels il témoigne du même rejet, il demeure paradoxal de décrédibiliser ainsi la critique dont le rôle est de participer au débat public sur l’art, dans une pièce qui porte autant à débat. 

Ses attaques se redirigent rapidement vers le public, « les gens » qu’elle « plaint » de manière générale, puis se muent en questions existentielles. Celles-ci, adressées toujours avec la même violence aux spectateurices, prennent pour prémisses les pires horreurs, démons et pulsions, et renvoient à de nombreux tabous. La violence de ce monologue introductif pourrait s’apparenter à du sadisme si elle n’était pas le point de départ de la longue réflexion sur l’obscène que constitue DÄMON.

Comme après une prophétie autoréalisatrice,  la pièce illustre ensuite, tableau après tableau, les différentes situations et pulsions qu’évoque Liddell dans ce brutal interrogatoire initial. Si les mots pouvaient être ignorés, leur traduction scénique ne l’est pas, et le public est bien obligé de se poser les questions formulées plus tôt. Peut-on accepter de voir des adultes nus à côté d’un enfant ? de voir des actes sexuels être performés, ou même simulés, toujours en présence de l’enfant, même si celui-ci, yeux et oreilles couverts, ne semble pas s’en rendre compte ? 

Dès lors deux autres questions apparaissent : celle de la fin et des moyens dans l’art, et celle de la nécessité du tabou. 

Sacrée Angélica 

Mettant à mal le principe de tabou, l’artiste enclenche un long processus de désacralisation de l’enfance et de la vieillesse, de la mort, du sexe, du culte et du lieu. C’est là que la décision d’avoir placé cette pièce dans la cour d’honneur prend tout son sens. 

Non seulement Liddell mobilise l’architecture de la Cour dans plusieurs tableaux, elle invite le public à réfléchir à l’aspect patrimonial du lieu, son caractère sacré et, prenant pour acquis que ses outrances – relatives vis-à-vis de ce qu’elle est capable de proposer – choque en ce lieu qui a pourtant vu mourir nombre de personnes. 

À la fin du spectacle plus rien n’est sacré, si ce n’est Ingmar Bergman, l’amour que Liddell lui porte, l’art et la joie, bien qu’à en croire l’avant-dernière phrase projetée sur le mur, l’artiste ne croie pas complètement en la possibilité de cette dernière.

CHLOÉ MACAIRE 

DÄMON
Jusqu’au 5 juillet 
Cour d’honneur du Palais des Papes, Avignon
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