Depuis trois ans la Fevis, (Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés)organise au cœur de La Mecque du théâtre, les Interférences dont « L’objectif est de rapprocher création musicale et programmateurs et public du spectacle vivant » explique son délégué général Louis Presset : faire en sorte qu’elle ne reste pas confinée dans les maisons d’opéra ou des festivals d’été pour toucher un plus large nombre de salles et de public.
Que manque-t-il à la musique de création pour qu’elle puisse trouver sa place sur les scènes pluridisciplinaires ? La question a réuni autour d’une table ronde dans le cadre splendide de la Collection Lambert, artistes, programmateurs, représentants du ministère de la Culture, de l’Ircam, de l’Onda… Dans les témoignages, les expériences de terrain, les intuitions partagées, les mêmes constats émergent : tout n’est pas qu’affaire de budget ou de fiche technique mais plutôt de méconnaissance, de récits inadaptés au public.
Stop aux clichés
« La création musicale est jugée aride, abstraite. Comment changer cette perception ? » s’interroge Estelle Lowry, directrice de la Maison de la musique contemporaine. Elle rappelle qu’un travail collectif est initié depuis quatre ans avec « Méridiens » porté par le ministère de la Culture et l’Ircam. Celui-ci a identifié plusieurs leviers : œuvrer à faire sortir ces musiques des clichés qui la présente comme élitiste, à mieux comprendre les publics – en particulier le sentiment d’illégitimité qui les habite face à la création, leur peur de s’ennuyer à un spectacle « barbant » –, à travailler envers des programmateurs qui méconnaissent ces esthétiques.
L’utopie de création
Élise Dabrowski, chanteuse lyrique, compositrice et directrice artistique de Trepak, structure porteuse de projets de créations, croit à la « puissance des œuvres » qui touche les publics. « Il faut arrêter de s’excuser d’être complexe. On doit rester centré sur ce que l’on a à dire. » Elle évoque Tomber sans bruit, création musicale hybride à partir d’archives sonores et visuelles, narrant la chute industrielle et sociale du groupe Vivarte (La Halle, André…) et la liquidation des 30 derniers salariés, fresque qui a suscité « l’envie » chez un large public.
« Il y a nécessité à créer des œuvres qui font société. Chacune doit être singulière, non reproductible, à rebours des injonctions productivistes. Pas de recette : seul compte le lien entre une œuvre, un lieu, un public. » Elle plaide pour un renouvellement des formats, le temps long, l’utopie de la création dans des résidences faites de rencontres et de cocréations sur un territoire.
À Marseille, l’ensemble C Barré mise aussi sur ce travail en profondeur, au plus près duterrain et en direction des jeunes générations avec des orchestres amateurs dans les écoles et les quartiers. Depuis 2024, l’ensemble a intégré la scène nationale du Zef : « Au départ, la directrice du Zef [Francesca Poloniato] avait peur d’accueillir un ensemble comme le nôtre. Elle ne savait pas bien comment ça fonctionnait. On a travaillé ensemble, appris à se connaître », explique Sylvain Monier, son administrateur.
Car il s’agit de cela : faire tomber les craintes, accompagner les lieux dans leurs initiatives de médiation. Un public n’est pas figé, statique. Il se gagne, s’apprivoise, s’éduque, en particulier lorsqu’il pratique lui-même la musique et s’empare de la création, comme le propose C Barré aux enfants des quartiers Nord de Marseille.
ANNE-MARIE THOMAZEAU.
La rencontre s’est déroulée le 11 juillet à la Collection Lambert, Avignon.
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